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LETTRES PARISIENNES (1838).

partialité et d’injustice, puisqu’il n’a daigné luire encore que pour nous.

Quelles sont ces deux nobles intelligences ? — Lamartine et Victor Hugo. — Quelle est cette belle pensée ? — Celle de toute leur vie, celle qui préside à chacune de leurs œuvres. Chose étrange ! ces deux hommes de génie se sont rencontrés, sans le vouloir, sans le savoir ; et suivant tous deux une route différente, tous deux marchent au même but. Oui, tous deux gravissent la même montagne, l’un a choisi le sentier du nord, l’autre le sentier du midi ; mais, parvenus au sommet, ils se retrouveront et se donneront la main. Tous deux accomplissent le même travail, mais en sens inverse ; tous deux ont entrepris le même livre ; ils écrivent la même histoire, l’histoire de l’âme humaine ; l’un raconte, le bien, l’autre le mal ; Lamartine, avec son regard rêveur et poétique, cherche le beau ; Victor Hugo, avec son coup d’œil observateur et dramatique, étudie l’horrible. L’œuvre du premier pourrait s’appeler l’École des élus, l’œuvre du second serait l’École des parias. Ainsi, dans leur sublime instinct qu’on nomme génie, ils se sont partagé le monde : l’un a choisi la terre, l’autre le ciel !

Maintenant, suivons-les dans le développement de leur travail ; ne vous effrayez pas, cela ne sera pas long. Nous vous dirons dans un moment que l’on porte des robes groseille à bouquets noirs qui sont fort jolies. Permettez-nous avant d’expliquer notre idée.

Lamartine, dans ses poëmes épiques, montre l’homme vertueux aux prises avec les tentations de la vie, et succombant une heure à ces tentations pour expier ensuite cette heure de faiblesse par des années de remords, de remords bienfaisants ; l’homme entraîné au crime par un monde corrompu qui l’attire, mais triomphant d’une démence passagère, grâce à la noblesse de son origine, à la pureté de son cœur, à la sainteté de son éducation.

Victor Hugo, dans ses drames, a pris le point de vue contraire : il montre l’homme dégradé par toutes les passions mauvaises, par toutes les misères, par toutes les humiliations, par le vice, par l’esclavage, par la difformité, séduit à son tour une heure par le bien, luttant non pas contre lui, mais