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LETTRES PARISIENNES (1838).

pleins d’habileté auxquels vous confieriez votre fortune, et vous feriez bien ; là, sont d’éloquents avocats auxquels vous confieriez toutes vos causes, et vous feriez encore bien. Et, cependant, toutes ces expériences associées, ces capacités mariées, ces talents cotisés, ces grands hommes incorporés, ne peuvent parvenir à régler tout simplement les affaires du pays… Inexplicable mystère ! d’où cela vient-il ? Cela vient peut-être de ce qu’ils ne s’en occupent pas.

En effet, nous n’avons entendu l’autre jour que des orateurs personnels, d’anciens ministres qui sont venus nous parler d’eux ; de graves historiens qui se sont humiliés jusqu’à ne plus raconter que leurs mémoires ; non-seulement ils rappelaient tout ce qu’ils avaient fait, mais encore ils répétaient tout ce qu’ils avaient dit ; et s’ils reprochaient à un autre orateur ce qu’il avait eu jadis l’imprudence d’avancer, c’était encore pour avoir le droit de rappeler ce qu’ils lui avaient répondu. Cette éloquence rétrospective nous a fort inquiété : dire, c’est déjà beaucoup ; redire, c’est affreux ; et toutes ces phrases qui commencent ainsi : « Je disais à telle époque… Je soutins à telle époque… » ou bien : « Alors vous disiez, et alors je répondais… » nous ont jeté dans une grande épouvante ; nous avons pensé qu’il était possible que l’on vînt de même nous répéter encore l’année prochaine tout ce que nous allons entendre cette année-ci. Que devenir ? Il n’y a plus de raison pour que cela finisse. Il n’y a qu’un moyen de mettre un frein à cet abus, c’est de faire payer un gage à tout orateur qui se fera son propre écho et qui redira plus de sept fois la même chose. Les bavardeurs seraient ruinés, mais cela simplifierait bien les questions.

M. Guizot s’est servi l’autre jour d’une expression qui nous a fort étonné : « Mes amis politiques, a-t-il dit, j’en atteste mes amis politiques. » Qu’est-ce que c’est qu’un ami politique ? La politique est chose absolue qui n’admet point d’affection ; on a en politique des partisans, des associés, des disciples, des élèves ; mais on n’a point d’amis. On aurait plutôt des parents politiques, car une idée est une famille, et nous reconnaissons la fraternité des études et l’alliance des convictions ; mais cela n’est pas de l’amitié, et nous ne reprochons à