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LE VICOMTE DE LAUNAY.

M. Guizot cette définition du parti doctrinaire que parce qu’elle est exacte. Hélas ! oui, monsieur Guizot, vous avez des amis politiques, et c’est bien là votre malheur ; vous avez toujours agi non pas pour le pays, non pas même pour vous, mais pour eux, et c’est pour eux encore que vous agissez aujourd’hui. C’est parce qu’ils sont mécontents que vous vous mettez en colère, c’est pour qu’ils soient quelque chose que vous voulez être tout. Ils ne sont rien sans vous, et votre erreur est de croire que vous ne seriez rien sans eux. Seul, vous seriez patient et fort. Vous aimez le pouvoir, mais vous sauriez l’attendre ; car vous êtes certain qu’il ne peut vous échapper. D’ailleurs, vous n’avez pas besoin d’être ministre pour être un homme important, vous avez plus d’une gloire à votre arc. On ne peut pas faire que vous ne soyez pas monsieur Guizot ; Achille boudeur n’en est pas moins Achille ; mais vos amis politiques ne vous laisseront jamais le loisir de bouder, et ils ont raison, ils ne sont pas posés comme vous pour attendre agréablement ; il faut être juste et se mettre à leur place ; si, comme le héros grec, vous vous retiriez digne et superbe sous votre tente, ce serait très-généreux, très-beau ; mais eux, ils resteraient pauvres et frileux sous la remise, ce qui serait moins noble et ce qui ne leur conviendrait pas du tout. Il faut croire que l’on est fort mal sous le hangar politique, car personne n’y veut rester. Votre dignité les réduirait au néant, votre silence au mutisme ; ils n’ont rien à dire quand vous n’avez point parlé ; si vous demeuriez dans l’ombre, ils se trouveraient dans la nuit. Partez donc, remorquez-les avec courage, vos amis politiques ; mais marchez vite, et tâchez d’en laisser beaucoup en chemin, tâchez d’arriver seul si vous voulez rester ; les amis politiques donnent de la valeur aux hommes médiocres ; mais ils paralysent les hommes de génie. Un homme comme vous, monsieur Guizot, doit marcher seul, mystérieux et rêveur comme Moïse, qui ne s’expliquait qu’avec Dieu. Il n’a point d’amis, parce qu’il ne peut avoir de liens ; mais il a des disciples qui vont semer au loin les graines de sa pensée, qui vivent de sa parole et non de ses promesses, qui l’écoutent avec confiance, et qui ne lui demandent rien. Les amis en politique sont des tyrans ; malheur à qui s’engage à plaire à quel-