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LETTRES PARISIENNES (1838).

sortes d’inventions merveilleuses : des étoffes de verre, qui feront des tentures admirables ; puis d’une autre étoffe dont il nous serait bien difficile de donner une définition. Cette étoffe est perméable à l’air et imperméable à l’eau. Ceci nous paraît tenir du phénomène. Ce n’est pas tout : dans l’Inde on vient d’imaginer de faire de la batiste avec de l’écorce d’ananas ; nous avons sous les yeux un échantillon de cette merveille : rien de plus charmant, de plus fin, de plus beau. Les anciens appelaient la gaze, du vent tissu ; nous pourrions nommer la batiste d’ananas, de l’eau tissue ; car cette toile blanche, lisse et luisante, a la fraîcheur, la transparence et l’éclat de l’onde la plus pure. Les Indiens ont aussi trouvé le moyen d’apprivoiser le thé dans leur climat. Ceci est assez dangereux et menaçant : que deviendrions-nous, grand Dieu ! si l’on allait s’imaginer que le thé pût s’acclimater en France ? Naturalistes, préservez-nous de cette affreuse culture : que d’herbes potagères, que de foin gâté, que d’épinards pâlis on nous servirait le soir avec des gâteaux et des brioches ! Le thé du cru serait quelque chose d’abominable. Savants, préservez-nous des thés du cru. Prouvez bien vite que toute importation serait impossible. Autant vaudrait le thé de madame Gibou !

On s’occupe aussi beaucoup de l’invention de M. Daguerre, et rien n’est plus plaisant que l’explication de ce prodige donnée sérieusement par nos savants de salon. M. Daguerre peut être bien tranquille, on ne lui prendra pas son secret. Personne ne songe à le raconter ; quand on en parle, on ne pense qu’à une chose, c’est à placer avantageusement les quelques mots d’une science quelconque que l’on a retenus au hasard. Ceux qui ont un ami ou un oncle physicien font de cette découverte un phénomène tout physique ; ceux qui ont été amoureux de la fille d’un chimiste font de cette invention une opération toute chimique ; ceux, enfin, qui ont souvent mal aux yeux la réduisent à un simple effet d’optique. Le moyen de se délivrer d’eux et de leurs inconcevables définitions, c’est de les mettre tous aux prises les uns avec les autres : alors c’est un échange de mots scientifiques, de faux latin et de grec tronqué qui est d’un entraînant irrésistible… quel délire ! quel amphigouri ! il y aurait de quoi rendre fou un imbécile. Jusqu’à présent, voilà