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LETTRES PARISIENNES (1838).

forme des cristaux, elle a remplacé les carafes de nos pères par les cruches de nos grands-pères. Les plats étaient ronds, elle les a faits carrés, au grand mécontentement des pâtés chauds, qui se plaignent amèrement de la solitude des angles ; elle a importé toutes sortes de recherches anglaises, russes, italiennes, espagnoles ou viennoises, qui donnent au repas une physionomie nouvelle et piquante. Par malheur, elle a aussi pénétré dans la cuisine, et c’est un tort ; la cuisine française est une autorité puissante qu’on ne saurait trop respecter. En fait de cuisine, nous partageons les opinions et les haines du Constitutionnel, et nous redoutons autant que lui l’influence de l’étranger.

La fantaisie, enfin, est entrée dans les écuries, dans les selleries, dans les remises, et c’est là surtout que ses inspirations ont été heureuses ; autrefois, toutes les voitures se ressemblaient à Paris ; elles avaient la même forme et la même couleur, elles étaient toutes régulièrement laides, lourdes et de mauvais goût. Aujourd’hui, les calèches légères, les briskas, les cabriolets à quatre roues et même à six roues ont remplacé les grandes berlines dites de famille, et les landaus massifs, dont la trappe enfr’ouverte ne vous laissait apercevoir que le bleu du ciel et menaçait toujours de vous engloutir en se refermant sur vous. La fantaisie a paré de fleurs le frontail de vos chevaux ; elle a jeté sur leurs épaules des chaînes d’or et d’argent, c’est-à-dire des harnais couverts de cuivre ; elle a appris à vos cochers qu’ils peuvent être gentilshommes ; enfin, elle a expliqué à vos valets de pied ce que signifiait ce mot : avoir bonne façon ; expression intelligente que vous semblez ne plus comprendre.

La fantaisie règne en musique. Demandez plutôt à M. Amédée de Beauplan. Est-il rien de plus gracieux que sa dernière romance : Viens à moi, je t’en supplie ! et de plus follement plaisant que cette parodie de toutes les romances dont le refrain est si nouveau ? On a bien souvent dit : Je pense à lui ; on a souvent chanté : Je pense à vous ; on a souvent gémi : Je pense à toi ; mais on n’avait pas encore imaginé de dire : Je pense à moi. Quel progrès ! il est digne de notre temps. L’air est rempli de mélancolie. Il y a des tenues de son qui