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LETTRES PARISIENNES (1838).

n’avaient pas ; on les a comblés d’honneurs ; on leur a confié les intérêts de la famille ; on les admet à présider à toutes les fêtes ; ils n’étaient rien ; on a tant fait, qu’ils paraissent tout ; et comme ils ont pris au sérieux cette splendeur inespérée, ils sont devenus insatiables, et ils disent : « Qu’est-ce donc qu’on a fait pour nous ? rien, puisque nous ne sommes pas les maîtres ; c’est impardonnable. Il faut nous venger en défaisant ce que nous avons fait. — C’est très-facile, j’avais prévu cela, je suis en mesure ; mais d’abord il faut brouiller les époux. — Je m’en charge, au revoir. » — Et ceux qui ont fait ce mariage pour eux et non pour le bonheur de la jeune femme, travaillent à le rompre avec ardeur, sans songer aux tourments qui peuvent en résulter pour elle ; que leur importe, à ces philosophes, le malheur de leur jeune protégée ? ils ne songent point à elle dans leur projet ; la devise de chacun d’eux, c’est : Je pense à moi. Ils parlent d’elle toujours, mais afin de n’y penser jamais… Et tu vas périr, belle France, parce que tes graves conseillers sont des égoïstes avides, qui ne voient dans tes destins que leurs intérêts ! parce que tes amis, dont la sagesse devrait te conduire, ne t’aiment pas !

Eh quoi ! si belle, si fière, si brillante, tu vas périr ! Oh non, tu ne périras pas ! Tes nobles parents te maudissent, tes frères jaloux te persécutent, tes sœurs t’abandonnent, tes amis perfides te vendent ; mais tes pauvres serviteurs te restent : eux du moins défendront ta demeure jusqu’à leur dernier jour. Vois ces soldats qu’on assassine, comme ils sont fermes à leur poste ! l’un tombe, un autre sous le feu le remplace et vient là tomber à son tour ; vois ces marchands qui ferment leurs boutiques, et qui partent avec leurs fusils : leurs femmes pleurent, ils ne les écoutent pas ; tu les appelles, ils ne reconnaissent que ta voix. On se moque d’eux, car ce sont des fabricants de bonnets de coton, des épiciers ; mais ils laissent rire ceux qui tremblent, et ils vont, héros anonymes, mourir pour toi. Oui, ce sont tes serviteurs obscurs qui te sauveront, belle France ! eux, vois-tu, sont libres de t’aimer, de te servir ; ils n’ont point de souvenir orgueilleux qui les engage, ils n’ont point de préjugés révolutionnaires qui les enchaînent. Ils sont purs de tous sophismes ; aucune idée fausse ne les sépare de