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LE VICOMTE DE LAUNAY.

en rien l’émeute des faubourgs. Les robes d’organdi sont pures et blanches comme des drapeaux qui n’ont jamais vu le combat ; les plumes flottent, les fleurs tremblent, les rubans frissonnent, les mouchoirs brodés jettent au loin de suaves parfums qui remplacent agréablement l’odeur de la poudre et des cartouches brûlées. Cette fête est charmante ; vive la valse ! elle emporte dans ses tourbillons tous les souvenirs de ce triste jour. Qui dirait jamais, en voyant passer ces jeunes femmes si légères, si gentilles et si coquettes, qu’à l’heure qu’il est on s’égorge dans Paris ? Ces coups de feu que l’on entend, ce roulement de tambour, mêlés à la musique de la danse, sont d’un effet ravissant : c’est l’orchestre de Musard avec les coups de fusil au naturel.

Et tu vas périr, belle France, parce que tes jeunes sœurs, qui devraient être entre tes parents et toi un lien d’amour, excitent au contraire entre vous la défiance et la haine, parce qu’elles voient tes pleurs avec indifférence, parce qu’elles ne t’aiment pas !

— Mais, dis-nous, n’as-tu point quelques amis ? Que font-ils pour toi, ces conseillers habiles qui t’ont mariée ? Ceux-là vont-ils venir à ton secours ? Non ; ils te boudent et ils conspirent dans l’ombre contre toi. Comme tous les gens qui ont négocié, par leur influence, un mariage quelconque, ils sont mécontents, et ils se plaignent du peu d’égards que l’on a pour eux. Avoir peu d’égards, c’est-à-dire n’avoir pas réalisé toutes leurs chimères, ne leur avoir pas donné tous les profits de l’alliance. Ils s’étaient dit : « Ce marié-là sera dans notre intérêt, et nous serons maîtres chez lui ; il tiendra une bonne maison où nous aurons nos grandes et nos petites entrées ; il donnera des fêtes, dont nous ferons les invitations : nous n’y admettrons que nos femmes et nos maîtresses ; il donnera de grands dîners, dont nous serons les convives inamovibles, et auxquels nous ferons prier ceux de nos créanciers qui ont de la vanité ; il aura des loges à tous les théâtres, et nous irons au spectacle ; nous mènerons alors joyeuse vie. Faisons ce mariage, il ne peut manquer d’être heureux. » — On a tout fait pour eux, rien que pour eux. On les a tirés du néant ; on leur a donné un nom, une fortune, une considération qu’ils