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LE VICOMTE DE LAUNAY.

des vieux mensonges dialogués, nous allons d’un mot couper la parole à des milliers de causeurs aimables qui, demain, ne sauront que dire ; mais raison de plus, nous n’aimons pas que l’on vive de phrases et d’idées toutes faites, surtout quand elles sont mal faites. Prenez garde, nous crie-t-on avec malice, si vous attaquez la bêtise et le mensonge, vous allez vous faire bien des ennemis… — Eh ! mon Dieu, voici déjà une de vos erreurs ! On n’a point pour ennemis les imbéciles et les menteurs, parce qu’on les a attaqués violemment ; on a tout naturellement les imbéciles et les menteurs pour ennemis, quand on a de l’esprit et que l’on dit la vérité. Nos ennemis sont un produit de notre propre nature, et non une conséquence de nos actions. Ceux que notre conduite a pu blesser nous haïssaient d’avance pour nos qualités ; nous n’avions rien à gagner à les ménager. Heureux l’homme qui n’aurait d’ennemis que ceux qu’il se serait faits lui-même, il pourrait facilement se les concilier : mais les ennemis implacables sont les ennemis naturels, et ceux-là ne s’apaisent point ; on ne les désarmerait qu’en perdant les avantages qui excitent leur colère ; leur pardon coûterait cher.

Il s’est fait bien des ennemis, dit la foule naïve. — Comment cela ? — En faisant telle chose, en écrivant tel livre. — Folie ! Je vous prouverai, moi, que s’il avait fait, que s’il avait écrit tout le contraire, il aurait eu les mêmes ennemis. Un mot malin que vous lancez vous fait un ennemi de la victime, sans doute ; mais ce même mot, si vous vous privez de le dire, ne vous fera pas moins un ennemi. Cette malice, que vous étouffez par bonté d’âme ou par prudence, se trahit dans votre regard, dans votre imperceptible sourire, elle est une conséquence de vos antécédents. Vous avez beau ne pas condamner tout haut telle chose, on sent bien que vous la trouvez ridicule, et l’on ne vous saura aucun gré de vos ménagements ; bien plus, on vous aurait pardonné cette plaisanterie spontanée, involontaire, qu’on attendait de vous, et l’on ne vous pardonne point la pitié généreuse, mais humiliante, qui vous la fait réprimer. Ce qu’il y a de plus sage au monde, nous le reconnaissons, c’est de cacher qu’on a de l’esprit ; mais quand on a eu la faiblesse de laisser deviner celui qu’on avait, ce qu’il y a de plus