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LETTRES PARISIENNES (1838).

pour vingt et un mille francs de jambons ; l’avocat qui le défendait s’écriait : « Oh ! messieurs, peut-on nous soupçonner d’une telle indignité ! nous qui avons fait la guerre avec le grand homme, nous qui sommes décoré de l’étoile des braves ; nous qui… — Assez, assez ! interrompt le président ; nous voyons bien que vous voulez couvrir vos jambons de lauriers, mais passez outre. »

Ces vingt mille francs de jambons nous rappellent ce chameau malade qu’un illustre usurier avait aussi donné pour une somme énorme à un de nos plus célèbres élégants. Le navire du désert faisait une triste mine dans les écuries du jeune dandy. Les coursiers anglais le traitaient avec peu d’égards.

Nous connaissons aussi un jeune officier à qui un impudent usurier avait osé donner mille serins en payement. Avoir mille serins sur les bras, s’occuper de leur nourriture et de leur éducation, pour un sous-lieutenant, c’était embarrassant ; mille louis auraient été plus faciles à gouverner ; mais mille serins, mettez donc mille serins dans une bourse, et même dans une cage ! Le pauvre jeune fou avait enfermé cette somme ailée dans une chambre près de la sienne ; mais cette singulière monnaie qui ne sonnait pas chantait continuellement, et le bruit étourdissant que faisait ce millier de ramages inquiétait toute la maison. L’oncle du jeune homme, à qui l’on voulait surtout cacher cette spéculation, fut le premier à s’alarmer de ces concerts ; il monta jusqu’à la mansarde de son neveu, et la vérité fut connue. L’oncle était homme d’esprit, il se mit à rire et paya les dettes. Alors le jeune homme ne songea plus qu’à utiliser ses serins. Sa portière se chargea d’en vendre deux douzaines, sa blanchisseuse en prit quelques-uns ; il voulut ensuite être généreux et donner le reste, mais ce n’était pas encore très-facile, il ne pouvait pas en offrir plus de deux à la fois dans la même famille. Il les distribua adroitement dans différents quartiers. Il en offrit deux jolis à une actrice du Gymnase, deux à une vieille rentière du Marais, et quatre à la petite fille du concierge du ministère de la guerre : les enfants dépensent beaucoup d’oiseaux ; mais après qu’il eut pourvu de serins toute sa société, ses supérieurs, ses inférieurs et ses amies, il lui en restait encore plus qu’il n’en faut