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LETTRES PARISIENNES (1838).

pour se rendre le ciel favorable ; ou assure encore que le branle des cloches attire le tonnerre : ces deux effets peuvent s’expliquer par des lois physiques ; mais comment ose-t-on soutenir que d’ôter les tapis d’un petit appartement dans une grande ville comme Paris, cela puisse influer sur la température, et changer tout à coup le vent du sud en vent du nord ? Cela est absurde. » — En effet, lecteurs éclairés, si vous avez cru que nous disions cela, c’est absurde.

L’autre jour, nous n’avons pas été mieux compris. Nous avions dit que l’on prenait à Tortoni des glaces tabac et vanille qui étaient excellentes ; ces glaces vanille et tabac ont été prises au sérieux, et d’honnêtes gens s’étonnaient naïvement que nous les eussions trouvées bonnes. « J’en ai mauvaise idée, ajoutaient les plus pénétrants, ce doit être fade ; le tabac sucré doit perdre de son parfum… » Ils appelaient cela un parfum ! Pour prévenir de nouvelles erreurs, désormais nous ferons suivre nos innocentes plaisanteries d’une explication détaillée. Nous dirons : Le mot glaces au tabac est une amplification ironique destinée à tourner en ridicule les deux cents fumeurs qui peuplent le boulevard des Italiens. La vapeur cigarine est si forte dans toutes ces régions élégantes, que les parfums les plus enivrants soudain s’y métamorphosent en tabac. Une jeune femme croit tenir un bouquet de roses dans sa main… erreur : au bout d’un instant elle ne tient plus entre ses jolis doigts qu’un paquet de cigares. L’eau de bouquet du comte d’Orsay, qui parfume son mouchoir brodé, se change en une affreuse essence de tabac ; ses beaux cheveux, sa capote de dentelle, son écharpe légère et son châle aux mille couleurs s’imprègnent en un instant d’un délicieux parfum de corps de garde ; enfin les glaces même qu’on lui sert dans ce nuage odorant, les glaces aux fraises, au citron, aux abricots, à la vanille, se métamorphosent d’elles-mêmes en excellentes glaces au tabac. Voici l’explication ; vous comprenez maintenant que c’était une plaisanterie, et qu’il aurait fallu en rire. Si vous allez à Tortoni, de grâce, ne demandez point un sorbet au tabac, on se moquerait de vous, et nous serions au remords de vous avoir rendus ridicules. Chose étrange ! ce sont les Parisiens que nous trouvons les plus rebelles en intelligence