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LETTRES PARISIENNES (1839).

une écharpe de tulle bleu de ciel ; toutes les coiffures sont pareilles : cheveux en bandeaux, une grosse natte posée au bas de la tête. Plusieurs d’entre elles sont d’une beauté remarquable ; toutes sont élégantes et paraissent jolies ; elles chantent maintenant, et leurs voix si fraîches nous arrivent à travers les fleurs. Chantez avec confiance, ô jeunes filles ! car vous ne savez pas que derrière ces orangers se cache un feuilletoniste profane dont le devoir est de trahir vos grâces innocentes et de célébrer vos talents inconnus. Que diriez-vous si vous saviez que le perfide est, comme vous, élève de votre digne maîtresse ; que s’il a cultivé les arts avec passion, et peut-être avec bonheur, c’est elle qui… mais, allons, point de fatuité ; quel rapport peut-il y avoir entre nous et l’éducation si élégante, si distinguée que reçoivent les élèves de mademoiselle A… ?

Pour récompenser les enfants qui se sont bien conduits, ces jours derniers, on les a menés voir Andromaque au Théâtre-Français et les bêtes féroces à la Porte-Saint-Martin ; aujourd’hui on les transporte à la campagne, on les disperse dans la province. Quel charmant voyage ! ceux qu’on emmène le plus loin du collège sont les plus contents. Comme ils vont s’en donner ! la chasse, la pêche, les promenades dans les ruines ! Que de plaisirs ! comme on va faire galoper les chevaux de ferme, voire même les ânes ; pour les quadrupèdes de seconde classe, le mois des vacances est le mois des douleurs. Ah ! cet âne qui broutait les couronnes savait bien ce qu’il faisait : c’était de l’instinct, disons mieux, c’était de l’inspiration. Il se vengeait d’avance des tourments que la victoire lui préparait. — Heureux enfants, heureux parents ; mais bien tristes sont ceux que l’absence ou l’isolement forcent à rester au collège ! Malheureux est le vainqueur orphelin dont le nom retentit depuis deux jours dans les journaux, et qui n’a pour l’aider à jouir de ses triomphes que toute une nation ; c’est une belle chose sans doute que de pouvoir se dire : « Tous ceux de ma couleur sont aujourd’hui glorifiés à cause de moi ; ils me nomment tous en levant la tête avec orgueil. » Cette pensée est honorable, elle flatte noblement le cœur ; mais ces mille embrassements d’un peuple reconnaissant ne valent pas un baiser maternel tout trempé de bienheureuses larmes ; ces