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LE VICOMTE DE LAUNAY.

donner une date, c’est dire son dernier mot. — Pour se maintenir à la mode, il faut renier le passé franchement, le renier en tout et en détail. Hier a toujours tort aux yeux d’un papillon de bonne compagnie : aujourd’hui seul doit occuper, aujourd’hui seul est infaillible. Si pour plaire aujourd’hui il faut de l’esprit, l’homme à la mode aura beaucoup d’esprit ; si au contraire il faut être niais et ridicule, il sera niais et ridicule sans effort. Il sait tourner à tous les vents comme une girouette docile, ou plutôt comme une girouette intelligente qui tourne volontairement. C’est pourquoi cet homme privilégié n’a pas d’âge ; ce sont les souvenirs qui vieillissent, et l’homme à la mode ne se permet pas d’avoir des souvenirs, non par légèreté ou par ingratitude, mais par instinct de conservation. Pour vivre, il faut que l’homme à la mode marche, marche sans cesse : s’arrêter, pour lui, serait périr ; c’est le Juif errant de la frivolité. Comme le Juif errant il est éternel ; comme lui il a obtenu de vivre toujours, mais à condition de ne se reposer jamais.

Pour les femmes, le métier est moins pénible : un joli visage, une situation romanesque, suffisent souvent pour mettre une femme à la mode et l’y maintenir pendant de longues années. La vivacité et la nonchalance conviennent également à ce rôle, qui n’a pas de lois bien précises. Ne rien cacher que son esprit, voilà à peu près tout ce qu’il demande ; car c’est une très-grande puissance que celle de la supériorité voilée ; il est cependant un moyen de devenir promptement et de rester longtemps une femme à la mode, ce moyen n’a jamais manqué son effet : c’est d’être sage avec une mauvaise réputation.

Nous sommes effrayé en ce moment d’une transition tout à fait impertinente que nous cherchons à éviter, mais cela est difficile. Courage donc, abordons le sujet franchement ! Nous voulons dire que si la mode reste longtemps fidèle aux personnes, elle se montre assez inconstante envers les animaux. Jadis la chatte ondoyante et soyeuse était l’ornement des boudoirs ; mais les chattes passent pour aimer les souris d’une façon cruelle et les gouttières d’une manière inconvenante ; on les trouve perfides et légères : on n’en veut plus.

Naguère, la levrette folâtre animait nos élégants parloirs ;