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LETTRES PARISIENNES (1840).

sont jamais longtemps vainqueurs l’un et l’autre. Où l’on procède en tout par abus, les triomphes ne durent guère, les excès détruisent vite les succès.

Lisez notre histoire depuis cinquante ans. D’abord, le pouvoir appartient à la noblesse, elle en abuse ; le peuple le lui enlève pour en abuser lui-même. La noblesse alors revient ; elle ressaisit le pouvoir et elle en rabuse. Et voilà maintenant le peuple qui, après l’avoir reconquis, recommence à en abuser. Cette lutte acharnée entre les classes supérieures et inférieures, dans laquelle on les voit tour à tour triompher et succomber, nous semble une conséquence naturelle du caractère excessif de notre pays. En France, rien n’est stable parce que tout est exagéré. Vous appelez cela des révolutions ! nous qui voyons tout cela de plus loin, nous appelons cela de l’équilibre, et nous nous attendons à tout. Nous tâchons de juger avec l’esprit de l’histoire, qui n’a rien de commun avec l’esprit de parti ; c’est pourquoi nous constatons le brillant passé de la noblesse, sans être le moins du monde aristocrate ; c’est pourquoi nous entrevoyons le puissant avenir de la démocratie, sans être démocrate non plus, ni même garde national, signataire tapageur d’une très-humble pétition.

Ce caractère excessif des Français se retrouve chez eux en toutes choses, dans la politique, dans les arts, dans les sciences, jusque dans les modes enfin.

Dans les arts : rappelez-vous la musique d’autrefois ; elle était d’une simplicité qui allait jusqu’à la niaiserie : orchestre respectueux, chant naïf, sans ornements, sans fioritures, sans roulades ; la cadence elle-même, seule folie qu’on osât se permettre alors, était si timide, si chevrotante, qu’elle ressemblait à un champêtre bêlement. — Aujourd’hui, quelle différence ! L’orchestre est une tempête, les chœurs sont des émeutes ; les roulades étourdissantes, les cadences audacieuses, les fioritures de toutes sortes emportent le chant, que l’on ne retrouve plus… Trop ou rien ! c’est la devise des Français.

En peinture, exagérations encore plus plaisantes. Dans les tableaux d’il y a vingt ans, le genre grec régnait exclusivement. On y représentait d’illustres guerriers combattant non