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LE VICOMTE DE LAUNAY.

seulement sans armure, mais sans vêtements ; puis on est tombé dans l’exagération contraire, et l’on n’a plus représenté que des vêtements et des armures.

Dans les lettres, même folie : nous avons eu pendant quinze années une littérature d’eau sucrée, jusqu’au jour qui a subitement fait naître une littérature de sang.

En médecine, le système des saignées extrêmes avait tellement prévalu, que le besoin d’un système contraire s’est vivement fait sentir. À la doctrine Broussais a succédé la doctrine homéopathique. On saignait toujours et tout le monde ; maintenant, on ne saigne plus personne et jamais. Nous ne nous plaignons pas, pour notre compte, de ce changement, qui nous semble une inspiration. En médecine, toutes les modes sont des instincts.

En fait de parure, c’est différent : les modes les plus généralement adoptées ne le sont souvent que par une aveugle condescendance ; la beauté de toute une population de jolies femmes est souvent immolée aux défauts de trois ou quatre merveilleuses. Oui, madame, cela est ainsi : vous qui avez une taille si souple, une tournure si gracieuse, vous ne portez sept ou huit lés dans votre robe que parce que mademoiselle une telle ou madame une telle sont mal faites, et que tout ce luxe leur est nécessaire ; et vous, madame la duchesse, vous qui avez un cou de cygne et de magnifiques cheveux noirs, vous ne portez ces lourds turbans, dont les écharpes à franges d’or retombent de chaque côté sur les oreilles, que parce que madame une telle n’a pas de cheveux sur les tempes et qu’elle ne saurait trop cacher ce qui lui manque. Vous êtes dans la dépendance des personnes qui donnent le ton : vous êtes forcée de vous soumettre à tous les caprices du jour. Mais revenons à notre idée : après les chapeaux trop grands sont venus les chapeaux trop petits. Naguère, les robes étaient bordées d’un simple ourlet ; point de dentelles, point de bijoux, point de fourrures, pas le moindre falbala. Les femmes allaient au bal en robe de dessous. Aujourd’hui, la fureur des ornements est poussée jusqu’à la démence. Ce sont des volants sans nombre et hors de toutes proportions ; ce sont des flots de dentelles, des nuages de marabouts, des bosquets de fleurs,