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LETTRES PARISIENNES (1840).

mager de ces triomphes stériles ils improvisent un concert à leur bénéfice. Ils font faire de magnifiques billets qu’ils distribuent aux maîtresses de maison qui ont bien voulu protéger gratuitement leur talent. Ces maîtresses de maison, fidèles à leur plan d’exploitation artiste, redistribuent à leur tour ces mêmes billets aux jeunes gens de leur société… qui se trouvent ainsi faire seuls les frais d’une musique qu’ils se plaignaient déjà d’avoir entendue pour rien. Ce système d’économie musicale, qui a créé le consommateur involontaire, n’est-il pas une invention merveilleuse ?

Franchement, le monde est tombé en enfance ! ses manies sont d’une niaiserie fabuleuse ! tous les ridicules anglais, germaniques, russes, espagnols, napolitains, chez nous sont aujourd’hui naturalisés ! Là où règne la manie anglaise, on sert un dîner sans pain, et l’on est ridicule si on a l’imprudence d’en demander ; — là où règnent les manières allemandes, on ne valse qu’à deux temps, et l’on est ridicule si l’on essaye l’ancienne valse ; — là où règne la mode russe, on ne vous sert que des fruits et des fleurs, et l’on est ridicule si l’on tourne la tête pour chercher le rôti… Ainsi de suite.

Dans telle maison, tout le luxe est dans l’argenterie : soit ; mais alors n’ayez pas de couteaux d’ivoire. — Dans telle autre, tout le luxe est dans les cristaux. Il y a des verres pour chaque vin, mais il n’y a pas de vin pour chaque verre.

Dans ce bel hôtel, tout le luxe est dans les tentures ; mais il n’y a pas de chaises pour s’asseoir.

Dans cet autre, il y a trois calorifères ; mais on ne les allume pas, et les bouches de chaleur ne sont plus que des ventilateurs perfides.

La prétention de telle maîtresse de maison est de ne recevoir chez elle que des dandys et des merveilleuses ; et tous ces gens-là entre eux se croient obligés de ne parler que d’attelages, de cuirs, de cuivres et de livrées, de pompons, de dentelles et de diamants, pour prouver qu’ils sont élégants…

« Les diamants de madame une telle sont bien beaux ! — Ah ! j’aime mieux ceux de la princesse de ***. — Ah ! pas moi ; la monture en est trop lourde. — Avez-vous vu le nouveau diadème de la petite madame R… ? — Oui, il est très-