Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
472
LE VICOMTE DE LAUNAY.

reprocher comme un crime et fuir, courageuse et désolée, loin du ruban tentateur sans même vouloir le marchander : cela seul demande plus de force d’âme que les plus terribles combats ; et ce mot, plein de stoïque résignation et de noble humilité que nous avons entendu l’autre jour, nous a plus touché le cœur que toutes les belles paroles des héroïnes de Sparte et de Rome. Une femme devait aller à un bal, à une fête magnifique ; elle était occupée à choisir des fleurs. Après avoir admiré ces couronnes à la mode qui sont si jolies, dont la forme est si gracieuse, elle en demanda le prix. Les belles fleurs, les fleurs fines sont très-chères cette année, et ce prix trop élevé, l’effraya. Alors, posant tristement la couronne de roses sur le comptoir, elle dit avec un soupir : « C’est trop cher ; je mettrai ma vieille guirlande ! »

Ma vieille guirlande ! Sentez-vous ce qu’il y a de douleur et de poignante résignation dans ces deux mots : ma vieille guirlande ! Cela fait venir les larmes aux yeux.

Oui, les femmes ont perdu en attraits tout ce qu’elles ont gagné en qualités. Chose étrange ! elles ont plus de valeur, elles ont moins de puissance ; c’est que leur puissance à elles n’est point dans l’activité qu’elles déploient, mais dans l’influence qu’elles exercent ; les femmes ne sont point faites pour agir, elles sont faites pour commander, c’est-à-dire pour inspirer : conseiller, empêcher, demander, obtenir, voilà leur rôle ; agir, pour elles, c’est abdiquer. Et cette maxime fameuse, qui ne signifie rien quand on l’applique à la puissance d’un roi, est de toute vérité quand elle s’applique à la puissance de la femme : La femme règne et ne gouverne pas.

Mais, pour régner, les femmes comme les rois ont besoin de prestige, et, malheureusement, les femmes et les rois n’ont plus de prestige aujourd’hui ; les femmes du monde, entendons-nous, car les autres ont encore le prestige du théâtre, et c’est ce qui doit expliquer la préférence qu’on leur accorde si cruellement.

Si les femmes du monde, divinisées autrefois, n’ont plus à vos yeux de prestige, nous venons de vous le dire, ce n’est pas leur faute, ne les accusez pas. Elles ne l’ont point perdu, ce prestige, elles l’ont généreusement sacrifié.