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LE VICOMTE DE LAUNAY.

ni raconter ; vous condamnez également ce qui n’a jamais pu arriver et ce qui est arrivé la veille : le surnaturel et l’historique, la fantaisie et le portrait ! telle chose vous paraît absurde, parce que c’est un rêve ; telle autre chose vous semble effroyable, parce que c’est un souvenir. Et pourtant, l’art dramatique ne se nourrit que d’inventions ou de peintures ; les unes sont un amusement, les autres pourraient être un enseignement ; mais vous ne voulez pas qu’on vous amuse, et vous tremblez qu’on ne vous apprenne à vous connaître ; que faire donc ? — Ce que vous faites : de la critique sur rien. Et puis, vous devenez d’une délicatesse, d’une susceptibilité qui nous enchante. Quoi ! vous supprimez le crime au théâtre ; vous ne voulez voir représenter sur la scène que des honnêtes gens ; les assassins vous font horreur, les forçats vous indignent, les espions vous révoltent ; les espions ! quelle affreuse idée ; mettre sur la scène un pareil monstre ! il n’y a que M. de Balzac pour avoir eu cette idée. — M. de Balzac et Racine d’abord, et puis M. de Balzac et Schiller, qui a laissé le plan d’un drame dont la police est le mobile. — « Schiller, il est vrai, avait conçu l’idéal de cette forme de gouvernement ; la police, dans sa pièce, eût été comme une espèce de divinité planant sur la destinée des familles et des citoyens ; plus flexible que la loi, mais par cela même plus applicable à chaque cas particulier ; dirigée par des intentions bienfaisantes, mais employant des moyens impurs et d’indignes agents. Il voulait, ajoute le biographe, montrer dans M. d’Argenson un homme éclairé, voyant de haut l’ignoble machine qu’il a créée, ayant acquis une expérience desséchante en observant les hommes seulement par leurs mauvais côtés, mais conservant encore le goût ou l’intelligence du bien. »

Or, dans un drame qui aurait eu pour sujet la police glorifiée, il se serait glissé sans doute plus d’un espion ; mais aucun d’eux aussi sans doute n’aurait inspiré plus d’horreur et plus de dégoût que l’affreux espion mis à la scène par Racine. Eh ! messieurs, qu’est-ce donc que Narcisse dans Britannicus ? Un espion, un misérable espion ! Et la fameuse Locuste, n’est-ce pas la mère Giroflée ? Ils ont sur les personnages de M. de Balzac l’avantage d’être classiques, et voilà tout ; mais ce n’est