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LETTRES PARISIENNES (1837).

encore ; puis, à force de l’apprécier, on finit par lui rendre la seule justice que demande un air de valse, c’est-à-dire de valser en mesure en l’écoutant ; et la soirée se passe ainsi en plaisir de contrebande ; on n’a point donné de bal, on n’a pas fait d’invitations, les mères étaient toutes en deuil, seulement les jeunes personnes, vêtues de robes blanches, ont fait quelques tours de valse pendant que MM. de X… ou Léon de B… étaient au piano. On a beau dire, l’esprit de parti a des ressources que les autres esprits n’ont pas.

Quant au quartier du centre de Paris, il ne valse ni ne danse, il ne saute ni ne croule ; il tourne, il roule, il tombe, il se rue, il se précipite, il s’abîme, il tourbillonne, il fond comme une armée, il vous enveloppe comme une trombe, il vous entraîne comme une avalanche, il vous emporte comme le seymoun ; c’est l’enfer qui se déchaîne, ce sont les démons en congé ; c’est Charenton qui jouit de la vie ; c’est le Juif errant parti pour sa course éternelle ; c’est Mazeppa lancé sur un cheval sauvage ; c’est Lénore enlevée par son amant funèbre à travers les forêts, les rochers, les déserts, et ne devant s’arrêter que pour mourir ; c’est une apparition un jour de fièvre, c’est un cauchemar, c’est le sabbat, c’est enfin un plaisir terrible qu’on nomme le galop de Musard. Les bals masqués de la rue Saint-Honoré sont cette année aussi à la mode que l’année dernière. Notre situation… notre… deuil ne nous permet pas d’y aller ; mais nous pouvons raconter ce qui s’y passe… c’est-à-dire, non, nous ne le pouvons pas, mais nous pouvons à peu près répéter ce qu’on en dit. Le quadrille des Huguenots est d’un effet merveilleux, rien de plus fantastique ; les lumières de la salle pâlissent et font place à une clarté rougeâtre qui veut imiter un incendie ; et c’est alors un étrange spectacle que ces figures joyeuses, que ces déguisements de toutes couleurs, de toutes gaietés, se dessinant dans ces lueurs funèbres. Tous ces fantômes bruyants, démons de joie et de folie, s’ébranlent par colonnes, s’élancent par torrents, et tout cela tourne, tourne, roule, roule, s’avance, s’avance, se presse, se pousse, se heurte, se choque, recule, revient, passe, repasse toujours, toujours et toujours, et jamais ne s’arrête, et le tocsin sonne, le tam-tam retentit, et l’orchestre est impla-