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LE VICOMTE DE LAUNAY.

cable : il hâte la mesure, il ne laisse pas le temps de respirer, et la fusillade est parfaitement imitée ; et l’on entend des cris, des plaintes et des rires ; c’est la guerre civile, c’est un massacre enfin : l’illusion est complète. Vous voyez bien que l’on s’amuse toujours à Paris : les uns tristement, les autres pompeusement, et ceux-là franchement ; chacun à sa manière, mais chacun s’amuse, excepté cependant ceux qui s’ennuient de s’amuser.


LETTRE TROISIÈME.

Vite une fausse nouvelle ! une niaiserie ! un mensonge ! La conversation se meurt ! il faut la soutenir à tout prix.
26 janvier 1837.

Excepté la grippe, fléau du troisième ordre, récemment débarqué de Londres, et qui commence ses ravages à Paris, rien de nouveau cette semaine ; mais, comme n’avoir rien à dire chez nous n’est pas une raison pour ne point parler, quand il n’y a pas de nouvelles on en invente. Une fausse nouvelle, à Paris, peut hardiment compter sur huit jours d’existence, non pas d’une existence générale, universelle, car elle est déjà un peu morte dans le quartier qui l’a vue naître, quand elle commence à vivre dans celui où elle doit mourir ; mais enfin elle n’est complètement démentie qu’au bout de huit jours, et l’on ne risque jamais rien de faire courir un bruit qui a huit grands jours d’avenir. Cette année, l’imagination des Parisiens est peu variée ; elle ne nous paraît pas très-riante non plus. Des morts, de fausses morts, voilà tout ce qu’elle invente ; jusqu’à ce pauvre Musard, qu’on a tué aussi pour se distraire : on ne respecte pas même le plaisir. Et, ce qu’il y a d’admirable, ce qui prouve que cette ville est immense, c’est que les gens tués ont beau réclamer, ont beau prouver qu’ils vivent, le bruit de leur mort n’en circule pas moins ; une fois lancé on ne peut plus l’arrêter : la fausse nouvelle a germé partout, il faut des efforts inouïs pour l’arracher du sol embourbé des intelligences, il vous faudra faire des actions éclatantes pour persuader aux êtres qui vous pleurent que vous faites encore partie des vivants ; et peut-être même cela ne suffirait-il pas : il