Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/276

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« Cet argent est nécessaire à mes plans financiers; j’en ai besoin pour l’équilibre des recettes et des dépenses. » John Bull vociférerait : « Taxez ce qu’il vous plaira, mais ne taxez pas le pain. » Mais ne voit-on pas que, par le chemin détourné de la protection, ils font absolument la même chose ? Ils taxent le pain, non pour le bien de l’État, — du moins chacun y participerait, — non pour repousser l’invasion étrangère et pour maintenir la paix intérieure, mais pour le profit d’une classe, pour mettre l’argent dans la poche de certains individus. (Écoutez ! écoutez !) Véritablement, c’est trop mauvais pour que vous le supportiez et prétendiez passer pour un peuple jaloux de ses droits. (Rires.)

Je ne voudrais pas sans doute en ce moment vous manquer de respect ; mais tout ceci dénote quelque chose de dur et d’épais dans les intelligences que je ne m’explique pas. (Murmures d’approbation.) Duc de Northumberland ! vous n’êtes pas mon roi ! je ne suis pas votre homme-lige, je ne vous paierai pas de taxes. (Bruyantes acclamations.) Duc de Richmond ! il y a eu des Richmond avant vous, vous pouvez avoir du sang royal dans vos veines ; vous n’êtes pas mon roi cependant, je ne suis pas votre homme-lige, et je ne vous paierai pas de taxes ! (Applaudissements.) Qu’ils s’unissent tous ; c’est à nous de nous unir aussi, — paisibles, mais résolus, — tranquilles, mais fermes, décidés à en finir avec ces sophismes, ces tromperies et ces extorsions. — J’aimerais à voir un de ces nobles ducs prélever sa taxe en nature. — J’aimerais à le voir, pénétrant dans une des étroites rues de nos villes manufacturières, et s’avançant vers le pauvre père de famille qui, après le poids du jour, affecte d’être rassasié pour que ses enfants affamés se partagent une bouchée de plus, — ou vers cette malheureuse mère qui s’efforce en vain de donner un peu de lait à son nourrisson, pendant que son autre fils verse des larmes parce qu’il a faim. — J’aimerais, dis-je, à voir le noble duc survenir au milieu de ces scènes de désolation, s’emparer de la plus grosse portion de pain, disant : « Voilà ma part, la part de ma taxe, mangez le reste si vous voulez. » Si la taxe se prélevait ainsi, vous ne la toléreriez pas, et cependant, voilà ce que