Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/661

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donc ses avantages ? Car prétendre que la civilisation n’a aucun avantage matériel, intellectuel et moral, cela ne se peut, ce ne serait plus de la civilisation. Dans la pensée de Chateaubriand, civilisation signifie progrès matériel, accroissement de population, de richesses, de bien-être, développement de l’intelligence, accroissement des sciences ; — et tous ces progrès impliquent, selon lui, et déterminent une rétrogradation correspondante du sens moral.

Oh ! il y aurait là de quoi entraîner l’humanité à un vaste suicide ; car enfin, je le répète, le progrès matériel et intellectuel n’a pas été préparé et ordonné par nous. Dieu même l’a décrété en nous donnant des désirs expansibles et des facultés perfectibles. Nous y poussons tous sans le vouloir, sans le savoir. Chateaubriand avec ses pareils, s’il en a, plus que personne. — Et ce progrès nous enfoncerait de plus en plus dans l’immoralité et l’esclavage par la corruption !…

J’ai cru d’abord que Chateaubriand avait, comme font souvent les poëtes, lâché une phrase sans trop l’examiner. Pour cette classe d’écrivains, la forme emporte le fond. Pourvu que l’antithèse soit bien symétrique, qu’importe que la pensée soit fausse et abominable ? Pourvu que la métaphore fasse de l’effet, qu’elle ait un air d’inspiration et de profondeur, qu’elle arrache les applaudissements du public, qu’elle donne à l’auteur une tournure d’oracle, que lui importe l’exactitude, la vérité ?

Je croyais donc que Chateaubriand, cédant à un accès momentané de misanthropie, s’était laissé aller à formuler un conventionnalisme, un vulgarisme qui traîne les ruisseaux. « Civilisation et corruption marchent de front ; » cela se répète depuis Héraclite, et n’en est pas plus vrai.

Mais, à bien des années de distance, le même grand écrivain a reproduit la même pensée sous une forme à prétention didactique ; ce qui prouve que c’était chez lui une