Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/381

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ble. Le grand critique avait une pente à la gourmandise, et ce vice était caressé par Félicité qui savait combien une femme se rend indispensable par ses complaisances. La salle à manger, complétée depuis un mois par des additions importantes, annonçait avec quelle souplesse et quelle promptitude une femme épouse le caractère, embrasse l’état, les passions et les goûts de l’homme qu’elle aime ou veut aimer. La table offrait le riche et brillant aspect que le luxe moderne a imprimé au service, aidé par les perfectionnements de l’industrie. La pauvre et noble maison du Guénic ignorait à quel adversaire elle avait affaire, et quelle fortune était nécessaire pour jouter avec l’argenterie réformée à Paris, et apportée par mademoiselle des Touches, avec ses porcelaines jugées encore bonnes pour la campagne, avec son beau linge, son vermeil, les colifichets de sa table et la science de son cuisinier. Calyste refusa de prendre des liqueurs contenues dans un de ces magnifiques cabarets en bois précieux qui sont comme des tabernacles.

— Voici votre lettre, dit-il avec une innocente ostentation, en regardant Claude qui dégustait un verre de liqueur des îles.

— Eh ! bien, qu’en dites-vous ? lui demanda mademoiselle des Touches en jetant la lettre à travers la table à Vignon, qui se mit à lire en prenant et déposant tour à tour son petit verre.

— Mais… que les femmes de Paris sont bien heureuses, elles ont toutes des hommes de génie à adorer et qui les aiment.

— Eh ! bien, vous êtes encore de votre village, dit en riant Félicité. Comment ? vous n’avez pas vu qu’elle l’aime déjà moins, et que…

— C’est évident ! dit Claude Vignon qui n’avait encore parcouru que le premier feuillet. Observe-t-on quoi que ce soit de sa situation quand on aime véritablement ? est-on aussi subtil que la marquise ? calcule-t-on, distingue-t-on ? La chère Béatrix est attachée à Conti par la fierté, elle est condamnée à l’aimer quand même.

— Pauvre femme ! dit Camille.

Calyste avait les yeux fixés sur la table, il n’y voyait plus rien. La belle femme dans le costume fantastique dessiné le matin par Félicité lui était apparue brillante de lumière ; elle lui souriait, elle agitait son éventail ; et l’autre main, sortant d’un sabot de dentelle et de velours nacarat, tombait blanche et pure sur les plis bouffants de sa robe splendide.