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SUR LE ΕΙ

résulte de cette existence des choses. « Il est jour ; la lumière brille » : voilà des faits que reconnaissent sans doute aussi bien que nous les chiens, les loups et les oiseaux[1]. Mais : « Si il est jour, la lumière brille », voilà un raisonnement que l’homme seul peut saisir, parce que l’homme seul a l’idée d’antécédent et de conséquent, seul il connaît la valeur de ces mots, leur relation, leur enchaînement mutuel, leur différence ; et il lui est donné de savoir que c’est de là que les démonstrations tirent avant tout leur principe, Or, puisque la vérité est l’objet de la philosophie, le moyen de mettre la vérité en lumière c’est la démonstration. Puisque, d’autre part, toute démonstration a pour principe la connexité des propositions, c’est à bon droit que la particule qui constitue et formule cette connexité a été consacrée au dieu qui aime la vérité par-dessus tout. De plus, Apollon est devin, et l’art de la divination s’exerce sur l’avenir d’après le présent et d’après le passé : car il n’est rien dont l’existence n’ait sa cause, dont la prescience n’ait sa raison. Comme le passé et le présent, de même le présent et l’avenir se suivent et s’enchaînent par une succession, qui de l’origine des choses se prolonge jusqu’à leur fin. Celui donc à qui sa nature fait connaître les causes de ces trois périodes de l’existence, qui sait les lier et les unir entre elles, celui-là sait aussi annoncer par avance :

Le présent, l’avenir et les choses passées[2].

Et avec raison Homère a mis d’abord le présent, puis l’avenir, et en dernier lieu le passé. Car du présent, par la connexité des propositions, dépendent les raisonnements que voici : « Si telle chose est, telle autre a précédé ; si telle chose est, telle autre s’en suivra. » En effet c’est l’affaire de l’art, de la logique, comme nous l’avons dit, de savoir reconnaître ce qui est conséquence ; et, pour ce qui est antécédent, c’est par la perception qu’on peut en avoir la connaissance. Aussi, bien qu’il y ait à cela quelque honte, je n’hésiterai pas à dire que le raisonnement est le trépied de

  1. Amyot : « les coqs ».
  2. Iliade, I, 70.