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SUR LE ΕΙ

On passerait une journée entière avant d’avoir énuméré toutes les propriétés qu’il renferme. Est-ce à nous, après cela, de déclarer que les Sages se sont mis en opposition avec la loi commune et avec une longue antiquité, lorsqu’ils ont ravi la prééminence au nombre sept, et qu’ils ont consacré à Apollon le nombre cinq comme lui convenant mieux ? Ce n’est, selon moi, ni un nombre, ni un rang, ni une conjonction, ni quelque autre partie du discours[1], insuffisante par elle-même, que représente la lettre Ε. Non : elle est en soi une appellation, une énonciation complète du Dieu. Par le fait seul qu’elle est prononcée, elle donne à celui qui l’articule le privilége de faire connaître la puissance divine. Car lorsque chacun de nous s’approche du sanctuaire, le Dieu, comme pour nous saluer, nous adresse le « Connais-toi toi-même », ce qui est une formule non moins expressive que le « Réjouis-toi ». Alors nous, à notre tour, nous disons au Dieu : « Ε[2] », comme pour faire comprendre que la vraie, l’infaillible, la seule appellation qui lui convienne et qui convienne à lui seul, c’est de déclarer « qu’il est. »

18. « Pour nous, en effet, l’existence n’est réellement en aucune façon notre partage. Toute nature périssable, placée entre la naissance et la destruction, n’offre qu’une apparence, qu’une vague et incertaine opinion d’elle-même. Veut-on, pour bien s’en rendre compte, raisonner d’une manière plus solide ? Supposez que l’on saisisse fortement un liquide pour le comprimer et l’étreindre : le liquide s’écoulera entre les doigts et sera perdu. De même, quand la raison cherche l’évidence absolue en des matières susceptibles de modifications et de changements, elle s’égare. Tantôt c’est de leur naissance qu’elle s’occupe, tantôt de leur destruction ; mais elle ne peut réellement saisir leur existence. On ne saurait, dit Héraclite[3], descendre deux fois dans le même fleuve. On ne peut, non plus, saisir deux fois dans le même état une

  1. Peut-être faut-il entendre simplement : « ni quelqu’une des autres parties du discours ».
  2. Amyot ajoute : « c’est-à-dire, tu es ».
  3. Nous supposons que cette première proposition seule appartient à Héraclite. Amyot lui attribue encore la suivante : « On ne peut non plus etc. ». Ce nous semble peu probable.