Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/16

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y sont sans doute indispensables ; ils en sont l’élément principal, la matière : ils n’en sont pas la condition même et la vie. Les événements qui souvent semblent, isolés et détachés les uns des autres, se succéder sans se suivre, ont une relation étroite, un enchaînement rigoureux, un ensemble et une unité qui en sont le secret et la lumière. Les contemporains voient bien les faits, mais ils ne les comprennent pas toujours et ne peuvent pas les comprendre ; il leur faut, à ces faits, pour éclater dans toute leur vérité, un certain jour, un certain lointain et comme la profondeur même des siècles : avant Salluste cette perspective manquait aux historiens, et Salluste même ne l’a pas tout entière. Il l’a bien senti ; aussi n’a-t-il pas cherché à faire ce qu’il n’aurait pu bien faire ; il n’a pas entrepris d’écrire la suite de l’histoire romaine, mais des fragments de cette histoire, carptim : c’était montrer un grand sens. Cette histoire romaine, comment aurait-on pu l’écrire autrement que par morceaux détachés ? elle n’était pas achevée encore : à ce grand drame, qui commence aux rois, se continue par les tribuns, se poursuit encre les Gracques et le sénat, entre Marius et Sylla, un dernier acte manquait ; Salluste l’avait entrevu dans César, mais il ne devrait être complet que dans Auguste. Pour écrire en connaissance de cause l’histoire de la république, il fallait avoir assisté à sa chute : ce fut la fortune et la tristesse de Tite-Live ; de même, Tacite n’a-t-il pu écrire l’histoire de l’empire que quand, les Césars épuisés, la vérité si longtemps outragée, pluribus modis infracta, reprit enfin ses droits sous la dynastie Flavienne, nunc demum redit animus. Pousserai-je ces considérations plus loin, et dirai-je que de nos jours non plus l’histoire de nos deux derniers siècles ne se peut écrire ? nous connaissons l’exposition, le nœud ; le dénouement, nous ne l’avons pas encore.

Revenons à la Conjuration de Catilina, à laquelle ceci était un préambule nécessaire.