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Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/22

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nous peint toutes les incertitudes, toute la mobilité, toutes les variations, toute la perfidie du roi Bocchus ! « incertain s’il doit livrer son gendre à Sylla ou Sylla à son gendre, partagé entre les plus inquiétantes perplexités, il promet à Sylla, il promet à Jugurtha ; décidé seulement à trahir, il ne retrouve le calme que lorsque le moment décisif arrivé le force à choisir entre ces deux perfidies [1] ! »

Cependant tout habiles, tout frappants que sont ces contrastes, ce n’est pas ce qui, dans le Jugurtha, m’intéresse le plus. Au fond de cette histoire de Jugurtha, dernière ce drame qui se joue en Afrique, il y a une autre action dont, à y bien regarder, la guerre contre Jugurtha n’est qu’un acte et comme un épisode. Le véritable nœud et l’inévitable dénouement de cette tragédie africaine, n’est pas à Cyrta, mais à Rome. En fait, ce n’est pas Metellus ou Marius qui sont aux prises avec Jugurtha, c’est le peuple et l’aristocratie. Aussi, en même temps qu’il nous décrit avec une rare exactitude, avec une rapidité entraînante, les événements militaires qui, sur le sol d’Afrique, semblent rendre la fortune indécise entre Jugurtha et les généraux romains, Salluste sait-il, par un art admirable, retenir ou ramener continuellement nos regards sur Rome ; il en représente les luttes intérieures, ces discordes du peuple et de la noblesse, cette soif des richesses, cette vénalité de tous les ordres, qui, mieux que ses ruses et son indomptable courage, soutiennent et enhardissent Jugurtha.

Si, pour la composition, la Jugurthine est bien supérieure à la Catilinaire, elle ne l’est pas moins pour le style. Dans la Catilinatre, la plume résiste quelquefois ; elle manque de souplesse et de naturel : le style a de l’apprêt ; mais, dans la Jugurthine, le grand écrivain se montre tout entier. « Les masses du style y sont en général moins détachées, moins

  1. Dussault, Ann. litter., t. III. p. 19 et 20.