Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce qu’on lui a d’abord reproché, c’est son obscurité, son affectation à employer, à rajeunir de vieux termes, et ce reproche, ce n’étaient pas des hommes médiocres qui te lui adressaient ; c’était Auguste, juge habile des écrivains de son temps ; AsiniusPollion, d’un goût si fin et si délicat ; c’était le maître même de Salluste, ce Pretextatus que nous connaissons ; c’est enfin Quintilien [1] qui nous a conserve cette épigramme sur l’auteur du Jugurtha :

Et verba antiqui multum furate Catonis
Crispe, jugurthinae conditor historiae.

Tous juges compétents, auxquels on peut joindre l’empereur Adrien, rhéteur couronné, espèce de Frédéric II, dont le goût bizarre n’admirait dans Salluste que l’affectation du veux langage, et à qui même il préférait pour cette raison l’historien Celius.

À ces critiques adressées à Salluste, il en est une que l’on voudrait n’y pas ajouter : c’est celle de Tite-Live. Tite-Live reproche à Salluste les emprunts que, dans sa grande histoire surtout, il avait faits à Thucydide ; et, selon lui, Salluste avait gâté tout ce qu’il avait pillé. Qu’est-ce qui a pu inspirer a Tite-Live cette remarque peu obligeante ? Y faut-il voir une injustice de l’esprit de parti, Salluste ayant été pour César, Tite-Live pour Pompée ? ou bien le sentiment peu honorable d’une rivalité jalouse ? Je ne sais ; peut-être tout simplement un goût littéraire différent : Tite-Live et Salluste se ressemblent si peu ! Il ne faut pas toujours prendre pour envie les oppositions des grands esprits entre eux et le jugement qu’ils portent les uns des autres. Corneille a pu dire à Racine avec une entière bonne foi « qu’il avait un grand talent pour la poésie, mais qu’il n’en avait point pour la tragédie ; » c’était en lui erreur, mais non malveillance ; et,

  1. Quintilien, liv. VIII, c. III.