Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/33

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nous soit parvenu de son ouvrage retrace le dévouement d’un tribun romain et de ses braves compagnons d’armes, que l’auteur compare à Léonidas et à ses trois cents Spartiates [1] ; dans un autre passage, cite par Cicéron [2], Caton avait mis en parallèle les plus célèbres constitutions de la Grèce et celle de Rome. On conçoit donc que Salluste ait du profondément étudier Caton et que, dans ce commerce assidu avec lui, il se soit teint de ses couleurs ; qu’il en ait emprunté certains tours et certaines expressions, la rudesse et la forme sentencieuse ; mais, en ce faisant, Salluste n’a rien fait que de légitime et de nécessaire.

Il ne le faut pas oublier : la langue latine, la langue de l’histoire surtout, s’est formée lentement et difficilement ; elle s’est formée, comme tout à Rome s’est formé, par un travail opiniâtre, par des conquêtes successives : elle n’est pas née spontanément comme en Grèce ; elle n’a pas eu cet heureux épanouissement et cette vigoureuse beauté d’une langue primitive. Longtemps les empressions savantes, les nuances fines et légères, ont manqué aux écrivains latins, parce qu’ils n’avaient pas et la délicatesse des sentiments et ce tact exquis qui saisit et exprime les mouvements intérieurs de l’âme : la langue morale, la plus déliée, la plus profonde de toutes les expressions du cœur humain, est aussi la dernière à naître et à grandir. C’est à la créer, à la développer chez les Romains que Salluste s’est surtout attaché. Mais pour cela Caton lui était d’un faible secours ; il s’est donc adressé ailleurs, il s’est adressé à Thucydide.

Jusqu’à quel point cette imitation de Thucydide aurait-elle été un plagiat ? Pour répondre a cette question, la pièce principale du procès nous manque, car nous n’avons que de rares fragments de la grande histoire de Salluste, où se trouvaient, dit-on, ces emprunts maladroits qui étaient

  1. Aulu-Gelle, III, 7.
  2. De republica, II, 1.