Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/37

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pour leur idole un auteur ancien, qu’ils aient pu se résoudre à appeler sur lui tous les respects, toute la vénération de leur siècle. L’idée qu’on se forme ordinairement de Tacite ajoute encore au mystère de cette espèce de religion:on se représente un écrivain excessivement grave et sévère, dont l’obscurité a quelque chose de sacré, dont l’intelligence est interdite aux profanes, dont tous les mots sont des sentences, et dont toutes les sentences sont des oracles. Cette physionomie de l’historien des empereurs, ce caractère qui le distingue, est une des raisons du choix que nos philosophes en ont fait pour le présenter à l’adoration publique ; un écrivain de génie, dont le style eût été simple, clair et naturel, n’aurait pas aussi bien servi leur enthousiasme ; il n’y a pas beaucoup de mérite à admirer ce que tout le monde entend; il est même piquant de diffamer ce que tout le monde admire. L’engouement des adorateurs d’un écrivain tel que Tacite n’avait presque pas de juges:il eût fallu entendre cet auteur pour apprécier la mesure d’admiration qu’il mérite. La haine des tyrans qui semble avoir guidé la plume et enflammé le génie de Tacite, les peintures énergiques et sublimes de la cour des empereurs romains qui se trouvent dans ses admirables ouvrages, étaient de plus une recommandation bien forte pour lui, auprès d’un parti qui haïssait essentiellement l’autorité, et qui ne pouvait souffrir le frein du gouvernement; ces pauvres philosophes étaient tourmentés d’un esprit de faction et de révolte qui puisait sans cesse dans les états de Tacite de nouveaux aliments [1]. »

Dix jours après, le 21 février, l’auteur de l’article que nous venons de rapporter en partie s’attaquait encore à Tacite.

Tacite était la préoccupation continuelle de Napoléon.

  1. C. L.F. Panckoucke, Traduction de Tacite, Préface, p. 66.