Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/376

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vers Pompée, qui, flatté de voir qu’on espérait obtenir par son influence ce que Sylla ne voulait pas accorder, saisit cette occasion de montrer son crédit sur le peuple ; il fit élire Lepidus consul, par préférence à Catulus, qui ne fut nommé que le second, malgré son mérite éminent et la protection déclarée du dictateur. Sylla, déjà résolu d’abdiquer la puissance, ne parut pas très-sensible à cette espèce d’affront ; il se contenta de prédire à Pompée, encore tout enorgueilli de ce triomphe, les maux qui allaient résulter de l’élection de Lepidus : « C’est à vous maintenant, dit-il, à veiller aux affaires, et à ne pas vous endormir après avoir armé contre vous-même un dangereux ennemi. »

Ce pronostic ne tarda pas à se vérifier. Lepidus, à peine désigné consul, conçoit le projet de se rendre maître du gouvernement à la place de Sylla. Il cabale, il murmuré sourdement contre l’état présent des choses ; il rallie les familles des proscrits ; puis, exagérant ses ressources pour multiplier ses partisans, il se vante d’avoir des fauteurs en Étrurie, dans la Gaule transalpine ; enfin d’avoir tout pouvoir sur Pompée. Ainsi parlait Lepidus, d’abord dans des entretiens particuliers. Bientôt dans une réunion générale de ses principaux partisans ; tenue le plus secrètement possible, il révéla tous ses projets dans le discours qui suit :

xxviii.
DISCOURS DU CONSUL EMILIUS LEPIDUS.

I. Romains, votre clémence et votre droiture, qui font, aux yeux des nations étrangères, votre supériorité et votre gloire, m’inspirent bien des alarmes au sujet de la tyrannie de L. Sylla. Je crains que, peu portés à supposer dans les autres ce que vous auriez horreur de faire, vous ne vous laissiez surprendre ; je le crains d’autant plus, que vous avez affaire à un homme qui n’a d’espoir que dans le crime et dans la perfidie, et qui ne peut se croire en sûreté qu’en se montrant plus méchant et plus détestable, afin de vous ôter, par l’excès de vos maux, jusqu’au sentiment de votre liberté : ou, si votre prudence veille encore, de vous tenir plus occupés à vous défendre de vos périls, qu’à as-