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GUERRE DE JUGURTHA.

été tué par les Numides à cause de sa cruauté ; qu’Adherbal, vaincu après avoir été l’agresseur, venait se plaindre du tort qu’il n’avait pu faire ; que Jugurtha priait le sénat de ne pas le croire différent de ce qu’on l’avait vu à Numance, et de le juger plutôt sur ses actions que sur les paroles de ses ennemis. Adherbal et les ambassadeurs s’étant retirés, le sénat passe sur-le-champ à la délibération. Les partisans de Jugurtha et beaucoup d’autres, corrompus par l’intrigue, tournent en dérision les paroles d’Adherbal, et par leurs éloges exaltent le mérite de son adversaire. Leur influence sur l’assemblée, leur éloquence, tous les moyens sont épuisés pour pallier le crime et la honte d’un vil scélérat, comme s’il se fût agi de leur propre honneur. Il n’y eut qu’un petit nombre de sénateurs qui, préférant aux richesses la justice et la vertu, votèrent pour que Rome secourût Adherbal, et punît sévèrement le meurtre de son frère. Cet avis fut surtout appuyé par Emilius Scaurus, homme d’une naissance distinguée, actif, factieux, avide de pouvoir, d’honneurs, de richesses, mais habile à cacher ses défauts. Témoin de l’éclat scandaleux et de l’impudence avec lesquels on avait répandu les largesses du roi, il craignit, ce qui arrive en pareil cas, de se rendre odieux en prenant part à cet infâme trafic, et contint sa cupidité habituelle.

XVI. La victoire cependant demeura au parti qui, dans le sénat, sacrifiait la justice à l’argent ou à la faveur. On décréta que dix commissaires iraient en Afrique partager entre Jugurtha et Adherbal les États qu’avaient possédés Micipsa. À la tête de cette députation était Lucius Opimius, personnage fameux et alors tout-puissant dans le sénat, pour avoir,