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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tome 13, édition définitive (extrait), 1973.djvu/3

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Qui cède à l’examen sitôt qu’on l’envisage,
Qu’on insulte à plaisir, qu’on brave, qu’on outrage,
Produit par la frayeur, enfanté par l’espoir[1],
Que jamais notre esprit ne saurait concevoir,
Devenant tour à tour, aux mains de qui l’érige,
Un objet de terreur, de joie ou de vertige
Que l’adroit imposteur qui l’annonce aux humains
Fait régner comme il veut sur nos tristes destins,
Qu’il peint tantôt méchant et tantôt débonnaire,
Tantôt nous massacrant, ou nous servant de père,
En lui prêtant toujours, d’après ses passions,
Ses mœurs, son caractère et ses opinions :
Ou la main qui pardonne ou celle qui nous perce.
Le voilà, ce sot Dieu dont le prêtre nous berce.

Mais de quel droit celui que le mensonge astreint
Prétend-il me soumettre à l’erreur qui l’atteint ?
Ai-je besoin du Dieu que ma sagesse abjure
Pour me rendre raison des lois de la nature ?
En elle tout se meut, et son sein créateur
Agit à tout instant sans l’aide d’un moteur[2].
A ce double embarras gagné-je quelque chose ?
Ce Dieu, de l’univers démontre-t-il la cause ?
S’il crée, il est créé, et me voilà toujours
Incertain, comme avant, d’adopter son recours.
Fuis, fuis loin de mon cœur, infernale imposture ;
Cède, en disparaissant, aux lois de la nature
Elle seule a tout fait, tu n’es que le néant
Dont sa main nous sortit un jour en nous créant.
Évanouis-toi donc, exécrable chimère !
Fuis loin de ces climats, abandonne la terre
Où tu ne verras plus que des cœurs endurcis
Au jargon mensonger de tes piteux amis !

Quant à moi, j’en conviens, l’horreur que je te porte
Est à la fois si juste, et si grande, et si forte,
Qu’avec plaisir, Dieu vil, avec tranquillité,
Que dis-je ? avec transport, même avec volupté,[3]
Je serais ton bourreau, si ta frêle existence
Pouvait offrir un point à ma sombre vengeance,

  1. L’idée d’un Dieu ne naquit jamais chez les hommes que quand ils craignirent ou qu’ils espérèrent ; c’est à cela seul qu’il faut attribuer la presque unanimité des hommes sur cette chimère. L’homme, universellement malheureux, eut dans tous les lieux et dans tous les temps des motifs de crainte et d’espoir, et partout il invoqua la cause qui le tourmentait, comme partout il espéra la fin de ses maux. En invoquant l’être qu’il en supposait la cause, trop ignorant ou trop crédule pour sentir que le malheur inévitablement annexé à son existence n’avait d’autre cause que la nature même de cette existence, il créa des chimères auxquelles il renonça dès que l’étude et l’expérience lui en eurent fait sentir l’inutilité.

    La crainte fit les dieux et l’espoir les soutint.

  2. La plus légère étude de la nature nous convainc de l’éternité du mouvement chez elle, et cet examen attentif de ses lois nous fait voir que rien ne périt dans elle et qu’elle se régénère sans cesse par le seul effet de ce que nous croyons qui l’offense ou qui paraît détruire ses ouvrages. Or si les destructions lui sont nécessaires, la mort devient un mot vide de sens : il n’y a plus que des transmutations et point d’extinction. Or la perpétuité du mouvement dans elle anéantit toute idée d’un moteur.
  3. VARIANTE
    des trois derniers vers de la page 82
    et des deux premiers de la page 83.

    Je me masturberais sur ta divinité,
    Ou je t’enculerais, si ta frêle existence
    Pouvait offrir un cul à mon incontinence,
    Puis, d’un bras vigoureux, J’arracherais ton cœur
    Pour mieux te pénétrer de ma profonde horreur.