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Page:Œuvres complètes du Marquis de Sade, tome 13, édition définitive (extrait), 1973.djvu/4

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Et mon bras avec charme irait jusqu’à ton cœur
De mon aversion te prouver la rigueur.
Mais ce serait en vain que l’on voudrait t’atteindre,
Et ton essence échappe à qui veut la contraindre.
Ne pouvant t’écraser, du moins, chez les mortels,
Je voudrais renverser tes dangereux autels
Et démontrer à ceux qu’un Dieu captive encore
Que ce lâche avorton que leur faiblesse adore
N’est pas fait pour poser un terme aux passions.

Ô mouvements sacrés, fières impressions,
Soyez à tout jamais l’objet de nos hommages,
Les seuls qu’on puisse offrir au culte des vrais sages,
Les seuls en tous les temps qui délectent leur cœur,
Les seuls que la nature offre à notre bonheur !
Cédons à leur empire, et que leur violence,
Subjuguant nos esprits sans nulle résistance,
Nous fasse impunément des lois de nos plaisirs :
Ce que leur voix prescrit suffit à nos désirs[1].
Quel que soit le désordre où leur organe entraîne,
Nous devons leur céder sans remords et sans peine,
Et, sans scruter nos lois ni consulter nos mœurs,
Nous livrer ardemment à toutes les erreurs
Que toujours par leurs mains nous dicta la nature.
Ne respectons jamais que son divin murmure ;
Ce que nos vaines lois frappent en tous pays
Est ce qui pour ses plans eut toujours plus de prix.
Ce qui paraît à l’homme une affreuse injustice
N’est sur nous que l’effet de sa main corruptrice,
Et quand, d’après nos mœurs, nous craignons de faillir,
Nous ne réussissons qu’à la mieux accueillir[2].
Ces douces actions que vous nommez des crimes,
Ces excès que les sots croient illégitimes,
Ne sont que les écarts qui plaisent à ses yeux,
Les vices, les penchants qui la délectent mieux ;
Ce qu’elle grave en nous n’est jamais que sublime ;
En conseillant l’horreur, elle offre la victime :
Frappons-la sans frémir, et ne craignons jamais
D’avoir, en lui cédant, commis quelques forfaits.
Examinons la foudre en ses mains sanguinaires :

  1. Rendons-nous indistinctement à tout ce que les passions nous inspirent, et nous serons toujours heureux. Méprisons l’opinion des hommes : elle n’est que le fruit de leurs préjugés. Et quant à notre conscience, ne redoutons jamais sa voix lorsque nous avons pu l’assouplir : l’habitude aisément la réduit au silence et métamorphose bientôt en plaisir les plus fâcheux souvenirs. La conscience n’est pas l’organe de la nature ; ne nous y trompons pas, elle n’est que celui des préjugés : vainquons-les, et la conscience sera bientôt à nos ordres. Interrogeons celle du sauvage, demandons-lui si elle lui reproche quelque chose. Quand il tue son semblable et qu’il le dévore, la nature semble parler en lui ; la conscience est muette ; il conçoit ce que les sots appellent le crime, il l’exécute ; tout se tait, tout est tranquille, et il a servi la nature par l’action qui plaît le mieux à cette nature sanguinaire dont le crime entretient l’énergie et qui ne se nourrit que de crimes.
  2. Et comment pourrions-nous être coupables quand nous ne faisons qu’obéir aux impressions de la nature ? Les hommes, et les lois qui sont l’ouvrage des hommes, peuvent nous considérer comme tels, mais la nature jamais. Ce ne serait qu’en lui résistant que nous pourrions être coupables à ses yeux. Tel est le seul crime possible, le seul dont nous devions nous abstenir.