Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/245

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sciences par de sanglantes persécutions, hors le cas d’un scandale manifeste, de blasphémés horribles ou de conspirations contre l’État combinées avec des hérésies. Beaucoup moins encore doit-on, dans les mêmes vues et sous le meme prétexte, fomenter des séditions, autoriser des conjurations, susciter des révoltés, mettre l’épée dans les mains du peuple, ou employer tout autre moyen de cette nature et tendant a la subversion de toute espèce d’ordre et de gouvernement, car tout gouvernement légitimé a été établi par Dieu même Employer ces odieux moyens, c’est heurter la première table de la loi contre la seconde, et, en considérant les hommes comme chrétiens, oublier que ces chrétiens sont des hommes. Le poète Lucrèce, ne pouvant supporter l’horrible action d’Agamemnon sacrifiant sa propro fille, s’ecrie dans son indignation « Tant la religion a pu inspirer d’atrocite’ » Mais qu’aurait-il dit du massacre de la Saint-Barthelemi, de la conspiration des Poudres, etc , si ces horribles attentats avaient été commis de son temps’. De telles horreurs l’auraient rendu cent fois plus épicurien et plus athée qu’il n’était, car, comme, dans les cas mêmes ou l’on est obligé d’employer l’épée au service de la religion, on ne doit le faire qu’avec la plus grande circonspection, c’est une mesure abominable que de mettre cette arme entre les mains de la populace. Abandonnons de tels moyens aux Anabaptistes et autres furies de cette trempe. Ce fut sans doute un grand blasphémé que celui du démon lorsqu’il dit « Je m’élèverai et je serai semblable au Très-Haut, » mais un blasphémé encore plus grand, c’est de présenter, pour ainsi dire. Dieu sur la scène et de lui faire dire « Je descendrai et je deviendrai semblable au prince des ténèbres » Serait-ce donc un sacrilège plus excusable de dégrader la cause de la religion et de s’abaisser a commettre ou a conseiller sous son nom des attentats aussi exécrables que ceux dont nous parlons, comme assassinats de princes, boucherie d’un peuple entier, subversion des États et des gouvernements, etc ’ ne serait ce pas faire, pour ainsi dire, descendre le Saint-Esprit, non sous la forme d’une colombe, mais sous celle d’un vautour ou d’un corbeau, et hisser sur le pacifique vaisseau de l’Église l’odieux pavillon qu’arborent sur leurs bâtiments des pirates et des assassins. Ainsi il est de toute nécessite que, l’Église s’armant de sa doctrine et de ses augustes décrets, les princes de leur épée, enfin les hommes éclairés du caducée de la théologie et de la philosophie morale, tous se concertent et se coalisent pour condamner et livrer a jamais au feu de l’enfer toute action de cette nature, ainsi que toute doctrine tendant à la justifier, et cest ce qu’on a déjà fait en grande partie Nul doute que, dans toute délibération sur le fait