Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/246

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de la religion, on ne doive avoir présent à l’esprit cet avertissement et ce conseil de l’apôtre : « La colère de l’homme ne peut accomplir la justice divine. »

Nous terminerons cet article par une observation mémorable d’un des saints pères, observation qui renferme aussi un aveu très ingénu : « Ceux, dit-il, qui soutiennent qu’on doit violenter les consciences sont eux-mêmes intéressés à parler ainsi ; et ce dogme abominable n’est pour eux qu’un moyen de satisfaire leurs odieuses passions. »

IV. — De la vengeance.

La vengeance est une sorte de justice sauvage et barbare. Plus elle est naturelle, plus les lois doivent prendre peine à l’extirper. Car, à la vérité, la première injure offense la loi, mais la vengeance semble la destituer tout à fait et se mettre à sa place. Au fond, en se vengeant on n’est tout au plus que l’égal de son ennemi, au lieu qu’en lui pardonnant on se montre supérieur à lui ; pardonner, faire grâce, c’est le rôle et la prérogative d’un prince. « La vraie gloire de l’homme, a dit Salomon, c’est de mépriser les offenses. » Le passé n’est plus, il est irrévocable ; et c’est assez pour les sages que de penser au présent et à l’avenir. Ainsi, s’occuper trop du passé, c’est perdre son temps et se tourmenter inutilement. Personne ne fait une injure pour l’injure même, mais pour le plaisir, le profit ou l’honneur qu’il espère en retirer. Ainsi pourquoi m’irriterais-je contre un autre homme de ce qu’il aime plus son individu que le mien ? Mais supposons même un homme d’un mauvais naturel qui m’offense sans aucun but et par pure méchanceté ; eh bien : pourquoi m’en fâcherais-je ? C’est apparemment que cet homme est de la nature des épines et des ronces, qui piquent et égratignent parce qu’elles ne peuvent faire autrement. La sorte de vengeance la plus excusable est celle qu’on tire des injures auxquelles les lois ne remédient point ; mais alors il faut se venger avec une certaine prudence et de manière à ne pas encourir la peine portée par la loi, autrement votre ennemi aura toujours l’avantage sur vous et vous recevrez deux coups au lieu d’un. Il est des personnes qui méprisent une vengeance obscure et qui veulent que leur ennemi sache d’où lui vient le coup ; cette sorte de vengeance est certainement la plus généreuse, car alors on peut croire que, si l’offensé se venge, c’est moins pour goûter le plaisir de la vengeance, et de rendre le coup, que pour obliger l’offenseur à se repentir ; mais les coups d’une âme lâche et perfide ressemblent aux flèches tirées pendant la nuit. Certain mot de Côme de Médicis,