Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/45

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pas sans raison qu’on a dit : « La vérité est fille du temps et non de l’autorité. » Ainsi, l’esprit humain étant comme fasciné par cette excessive déférence pour l’antiquité, les grands maîtres et l’opinion publique, doit-on encore être étonné que les hommes, liés par cet assujettissement comme par une sorte de maléfice, soient devenus incapables de consulter la nature même, et de se familiariser avec ses opérations ?

LXXXV. Ce n’est pas seulement l’admiration et la déférence pour l’antiquité, l’autorité et l’opinion publique qui ont porté les hommes à se reposer ainsi sur les découvertes déjà faites ; c’est encore l’admiration pour les œuvres de la main humaine, et à cet égard le genre humain semble être dans l’abondance. En effet, si l’on se représente l’inépuisable variété et l’appareil pompeux de tous les procédés que les arts mécaniques ont introduits et comme entassés pour multiplier à l’infini les douceurs et les commodités de la vie, frappé de ce spectacle on sera plus disposé à admirer l’opulence humaine qu’on n’aura le sentiment de l’indigence commune, ne s’apercevant pas que ces premières observations des hommes et ces primitives opérations de la nature, qui sont comme le premier mobile, comme l’âme de tout cela, ne sont pas en fort grand nombre ; que pour faire de telles découvertes il n’a pas fallu fouiller bien avant, et que tout le reste n’est que le fruit de la patience et le produit d’une certaine subtilité ou régularité dans les mouvements de la main ou des instruments. Par exemple, s’il est un genre d’exécution qui exige de la précision, de l’exactitude et de l’adresse, c’est certainement la construction des horloges, qui, par leurs rouages, semblent imiter les mouvements célestes, et, par leur mouvement alternatif et régulier, le pouls des animaux. Eh bien ! Ces machines si ingénieuses tiennent tout au plus à un ou deux principes puisés dans la nature.

Que si l’on tourne son attention vers ce qu’il peut y avoir de plus ingénieux et de plus délié dans les arts libéraux, ou même dans les procédés par le moyen desquels, dans les arts mécaniques, on fait prendre aux corps naturels mille formes différentes ; si l’on examine bien toutes ces inventions, par exemple, quant aux arts de la première espèce, la découverte des mouvements célestes dans l’astronomie, celle des accords dans la musique, et, dans l’art grammatical, l’invention des lettres alphabétiques, qui ne sont pas encore en usage à la Chine ; ou que, dans les arts mécaniques, on considère les gestes de Bacchus et de Cérès, c’est-à-dire la préparation du vin, de la cervoise et des différentes sortes de pain ou de pâtisserie, enfin toutes les douceurs qu’ont pu nous procurer tous les raffine-