Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/46

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ments de l’art du cuisinier et du distillateur ; qu’après avoir bien considéré tout cela, on songe combien de temps on a consumé pour porter toutes ces inventions au degré de perfection où nous les voyons (je dis de perfection, parce que tous les procédés de cette espèce, si l’on en excepte ceux des distillations, étaient connus des anciens), et, comme nous l’avons déjà remarqué par rapport aux horloges, combien peu d’observations et de principes pris dans la nature elles supposent, qu’on se dise combien toutes ces petites découvertes étaient aisées à faire en profitant d’une infinité d’occasions fortuites qui s’offrent toujours, ou de toutes les idées fugitives qui se présentent d’elles-mêmes à l’esprit ; qu’on pèse, dis-je, avec soin toutes ces considérations, et bientôt, perdant cette admiration qu’avaient excitée à la première vue ces faciles découvertes, on ne pourra plus que déplorer la condition humaine en voyant cette disette d’inventions utiles et la stérilité de l’esprit humain durant tant de siècles. Or, observez que toutes ces inventions mêmes dont nous parlons ici ont de beaucoup précédé la philosophie et les arts qui ne se rapportent qu’a l’esprit ; on peut dire même qu’à l’époque où sont nées ces sciences rationnelles et dogmatiques, l’invention des procédés utiles a pris fin.

Que si des ateliers on passe aux bibliothèques, on sera d’abord frappé d’admiration à la vue de cette immensité de livres de toute espèce qu’on y a entassés ; puis, venant à regarder ces livres de plus près, à bien examiner et les sujets qu’on y traite et la manière dont ils sont traités, en un mot tout leur contenu, on sera frappé d’étonnement en sens contraire, en s’assurant par soi-même que tous ces volumes se réduisent à d’éternelles répétitions des mêmes pensées. Et en voyant les hommes dire et redire, faire et refaire toujours les mêmes choses, de l’admiration qu’excitait au premier coup d’œil cette apparente abondance l’on passera à un étonnement plus grand encore à la vue de l’indigence réelle qu’elle couvre, et l’on sentira enfin combien est pauvre et misérable cette prétendue science qui a jusqu’ici occupé les esprits et s’en est comme emparée.

Que si, daignant abaisser son esprit à la considération de choses plus curieuses qu’importantes, on passe aux travaux des alchimistes, on ne saura trop s’ils doivent être un objet de compassion ou de risée. En effet, l’alchimiste se berce d’éternelles et chimériques espérances. Lorsque ses premières tentatives ne sont point heureuses, il n’en accuse que ses propres erreurs et ne s’en prend qu’à lui-même, c’est qu’il n’aura pas bien compris les termes de l’art ou les expressions particulières des auteurs. Puis il va écou-