Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/47

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tant tous les contes qu’on lui fait à ce sujet, et prêtant l’oreille à tous les petits secrets qu’on lui promet ; ou bien ce sera peut-être que, dans les minutieux-détails de ses manipulations, il se sera quelque peu écarté du vrai procédé ; un grain ou une seconde de plus ou de moins, il tenait tout ; et le voilà répétant mille et mille fois les mêmes essais sans jamais se lasser. Si, chemin faisant, et parmi les hasards de expérience, il rencontre quelque fait dont la physionomie soit un peu nouvelle et qui lui paraisse de quelque utilité, il s’en saisit aussitôt comme d’un gage et d’un garant de tout le reste. Son imagination se repaît de cette petite découverte ; il la vante, il l’exagère, en tous lieux il en fait un grand étalage, et ce léger succès, lui faisant concevoir les plus hautes espérances, l’encourage à continuer. Cependant l’on ne peut disconvenir que les alchimistes n’aient inventé bien des choses, et que nous ne leur devions même plus d’une découverte utile. Mais c’est à eux surtout que s’applique avec beaucoup de justesse la fable de ce vieillard qui, en léguant à ses enfants un prétendu trésor enfoui dans sa vigne, ajouta qu’il ne se rappelait pas bien l’endroit où il l’avait caché, mais qu’en cherchant avec un peu de constance ils le trouveraient. Le père mort, les voilà fouillant partout dans la vigne et remuant la terre en mille endroits. À la vérité ils ne trouvèrent point d’or, mais en récompense, par l’effet naturel d’une meilleure culture ; la vendange suivante fut très abondante.

Quant aux hommes infatués de la magie naturelle, qui veulent tout expliquer par de prétendues sympathies et par d’impuissantes conjectures, ils ont imaginé une infinité de propriétés occultes et d’opérations merveilleuses ; et si parfois ils produisent quelque chose, ce seront des choses-qui pourront étonner par leur nouveauté plutôt que des pratiques vraiment utiles. Mais dans la magie superstitieuse, s’il est besoin de parler aussi de celle-là, il faut surtout observer qu’il est certains sujets d’un genre déterminé et limité où les arts, enfants de la curiosité et de la superstition, ont pu quelque chose ou su faire quelque illusion, dans tous les temps, chez toutes les nations et même dans toutes les religions. Ainsi, laissant de côté toutes les pratiques de cette espèce, nous dirons qu’il ne faut pas s’étonner si l’idée qu’on se forme de son opulence peut amener l’indigence.

LXXXVI. Mais cette admiration si puérile et si peu fondée, dont on est frappé pour les sciences et les arts s’est fort accrue par le manège et l’artifice de ceux qui se mêlent de les transmettre et de les enseigner. Dans ces traités-là, à la composition desquels président presque toujours l’ambition et le désir de se faire valoir, on les