avec tant de violence et de promptitude, on se fût d’autant moins avisé d’y penser qu’on n’en connaissait aucun exemple, qu’on n’avait aucune analogie qui put y conduire, si ce n’est peut-être les tremblements de terre et la foudre, deux phénomènes qu’on eût rejetés bien loin de sa pensée, les regardant comme deux grands secrets de la nature et deux opérations inimitables.
De même si, avant la découverte de la soie, quelqu’un eût tenu un tel discours : « On a découvert une certaine espèce de fil dont on peut faire toutes sortes de meubles et de vêtements, fil beaucoup plus fin que tous ceux qu’on fait avec le lin ou la lame, et qui pourtant a beaucoup plus de force, de moelleux et d’éclat. » Mais d’imaginer qu’un chétif vermisseau puisse fabriquer un tel fil et le fournir en si grande quantité, enfin, que ce travail se renouvelle tous les ans qui s’en fût jamais avisé ? Que si, de plus, la même personne eût hasardé quelques détails plus positifs sur ce ver même, on l’eût tournée en ridicule et prétendu qu’elle voulait parler de quelque nouvelle espèce d’araignée qui filait ainsi et à laquelle elle aurait rêvé.
De même si, avant l’invention de la boussole, quelqu’un eût dit qu’on avait inventé un instrument à l’aide duquel on pouvait distinguer et déterminer avec exactitude les pôles de la sphère céleste et les différentes situations des astres, on se serait d’abord imaginé qu’il ne s’agissait que de certains instruments d’astronomie construits avec plus d’exactitude et de précision. À force de tourmenter son imagination, on eût trouvé mille moyens pour arriver à ce but, mais qu’il fut possible de découvrir une telle espèce de corps dont le mouvement s’accordât si bien avec celui des corps célestes, et qui ne fût pas lui-même un corps céleste, mais seulement une substance pierreuse et métallique, c’était ce qui eût semblé tout à fait incroyable. Ces découvertes pourtant avaient long-temps échappé aux hommes, et ce n’est point à la philosophie ou aux sciences de raisonnement qu’on les doit, mais au hasard, à l’occasion, et, comme nous l’avons déjà dit, elles sont si hétérogènes et si éloignées de tout ce qui était déjà connu qu’aucune espèce de prénotion et d’analogie ne pouvait y conduire.
Il y a donc tout lieu d’espérer que la nature renferme encore dans son sein une infinité d’autres secrets qui n’ont aucune analogie avec les propriétés déjà connues, mais qui sont tout à fait hors des voies de l’imagination. Nul doute qu’elles ne se fassent jour à travers le labyrinthe des siècles, et que tôt ou tard elles ne se produisent à la lumière, comme celles qui les ont précédées ont paru dans leur temps, mais par la route que nous traçons, on pourrait