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Page:Œuvres de Blaise Pascal, IX.djvu/239

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LETTRE DE MERE A PASCAL 219

pas divisibles ; et croyez-vous que ce soit connoistre une chose que de sçavoir seulement ce qu'elle n'est pas. Cette ignorance fait perdre du temps à chercher tant de fausses démonstrations, qui renversent le bon sens comme de prouver par des conséquences qui paroissent vray sem- blables que deux corps se peuvent toujours approcher sans jamais se joindre et tant d'autres de cette espèce. Mais il se faut souvenir que le bon sens ne se trompe guère, et qu'à la reserve des choses surnaturelles tout ce qui le choque est faux.

Je ne conçois pas, dites-vous, que rien de matériel soit indivisible; peut-estre ne le conçois-je pas non plus que vous, et je voy pourtant bien que la conséquence que vous en tirez, qu'il s'y trouve une infinité de parties, n'est pas juste. Et que sçavez vous si ce n'est point le défaut de vostre imagination? ou même celui de ce petit corps, qui pour sa petitesse ne peut venir à la connoissance des sens ? Ne conclurons nous pas de la même sorte que tout ce que nous ne pouvons comprendre n'est qu'un songe? Et comprenez-vous bien une chose que vous estes con- traint d'avouer par vos principes qu'un grain d'or suffiroit à dorer tout l'argent, tout le cuivre, tout le plomb, tout le fer, tout le bois, et toutes les matières qui se peuvent dorer? Ouy, me direz-vous, pourveu que ce grain fust bien ménagé. Mais comment ménager quand il faut faire une dépense infinie ? Et puis à quoi bon ménager ce qui ne se peut épuiser? 11 me semble qu'un grand esprit comme vous devroit estre au-dessus des Arts et des Sciences, bien loin de s'y laisser empietter, et d'en estre esclave.

Je vous demande encore si vous comprenez distincte- ment qu'en la cent-millième partie d'un grain de pavot, il y pût avoir un Monde, non seulement comme celui-ci.

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