Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/112

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l’originalité de la doctrine propre aux Pensées, plus on met en relief l’éclat incomparable de la forme. Mais est il possible chez Pascal de séparer ainsi la forme et le fond ? Le style, surtout dans les fragments de son œuvre dernière, est autre chose que le produit d’un art consommé ; c’est le geste de l’âme le plus intime. Il n’apporte pas seulement à la pensée une expression d’une transparence unique, il lui marque une profondeur qu’elle n’avait pas encore atteinte. Rapprochées par Pascal, la vérité de Montaigne et la vérité de l’Écriture reçoivent une clarté nouvelle. Une route inattendue est tracée de l’une à l’autre, si lumineuse pourtant qu’il semble impossible d’en suivre une autre. Aussi certains lecteurs de Pascal s’y sont-ils trompés : ce libertin, que l’ardeur de sa charité fait vivre à travers son œuvre et qu’il force d’entrer dans la voie du salut, ils ont cru que c’était Pascal lui-même : ils l’ont imaginé révolté contre sa propre foi, se faisant violence pour « ployer la machine » et prosterner son incrédulité devant les autels. Rien mieux que cette étrange erreur ne permet de comprendre le caractère propre de l’Apologie pascalienne, et le contraste qu’elle devait offrir avec les traités traditionnels. Au lieu de faire dérouler devant un lecteur immobile une série de vérités qui demeurent en quelque sorte à leur propre hauteur, par delà la région des nuages, et d’où la lumière descend uniforme et glacée, Pascal devait marcher sur le libertin, lui reprocher de ne pas se remuer, l’embarquer ou plutôt lui montrer qu’il est embarqué, que le chemin marche pour lui et le con duit où il faut aller.

Comment contester l’originalité essentielle d’une telle Apologie ? elle est, ainsi que doit être le chef-d’œuvre selon Gœthe, l’œuvre de circonstance qui pénètre en sa profondeur entière et qui juge la pensée d’un siècle.