Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/113

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Le libertin, auquel s’adresse Pascal et qui aurait été comme le héros de son Apologie, c’est l’homme des temps nouveaux qu’après la renaissance des lettres antiques et le réveil de la pensée libre la science moderne commence de former, l’homme qui s’attache à la nature et qui prétend se développer suivant les lois de la raison. Il fait un acte de foi, et il dit : « Je crois que 2 et 2 sont 4 » ; il fait un acte de charité, et il dit au pauvre : « Va, je te le donne pour l’amour de l’humanité. » Pour cet homme nouveau quelle est la vérité et quelle est la morale du christianisme ? Ni Descartes, ni ses disciples qui pourtant ont tous été profondément religieux, Spinoza comme Malebranche, Leibniz comme Fénelon, n’ont répondu à cette question : ils ont mis Dieu au centre de leur doctrine, mais c’est un Dieu vers lequel convergent, sans inversion de mouve ment, sans rupture de continuité, toutes les forces de la nature et toutes les ressources de l’humanité. L’esprit l’aperçoit par intuition ; il est capable de donner à cette intuition la forme rationnelle de l’argument ontologique. La science procède de Dieu et nous rapproche de Dieu ; le progrès moral prescrit aux sociétés humaines des lois qu’il justifie, permet à la vertu de réaliser dès ce monde le règne delà Grâce et l’union avec l’Absolu. À l’ombre du quiétisme de Spinoza ou de Fénelon, de l’optimisme de Malebranche ou de Leibniz, la civilisation moderne grandit et se développe, l’esprit humain conquiert son autonomie, il définit lui-même les conditions de la vérité, en même temps qu’il affirme à titre de donnée positive l’autorité de la conscience morale et qu’il établit les bases de la justice sociale. Si l’œuvre du xviiie siècle, malgré les apparences, continue l’œuvre du siècle précédent, c’est que le xviie siècle — tout en le faisant reposer sur une doctrine de Dieu —, a pourtant élevé l’édifice de la raison :