Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu/428

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reconnaît que nous allons droit, et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons ; sans cela nous en aurions pitié et non colère.

Épictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons-nous pas[1] si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisissons mal[2]. — Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n’avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux ; mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que, n’en ayant d’assurance qu’à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix ; car il faut préférer nos lumières à celles de tant d’autres, et cela est hardi et difficile. Il n’y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux.

    rengé sans nous mettre en cholere ? Cette vicieuse aspreté tient plus au iuge qu’à la faulte. »

  1. [De ce qu’on dit.]
  2. Voir Épictète, Entretiens, IV, 6 : « Tu t’inquiètes si les autres ont pitié de toi. — Oui, parce qu’ils me plaignent sans que je le mérite… — Comment te plaignent-ils sans que tu le mérites. En manifestant l’impression que la pitié fait sur toi tu te prépares à t’en rendre digne… J’ai la tête saine, et pourtant tout le monde voit que j’ai mal à la tête. Que m’importe ? » (Trad. Thurot, p. 440). — Cf. Nicole : « Nous ne nous mettons pas en colère lorsqu’on s’imagine que nous avons la fièvre, quand nous sommes assurés de ne pas l’avoir. Pourquoi donc s’aigrit-on contre ceux qui croient que nous avons conscience des fautes que nous n’avons pas commises », etc. (Du moyen de conserver la paix avec les hommes, 2e part., ch. iii).