Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans ce cimetière à pourrir avec ces paysans qu’il a tant méprisés. Il était jeune et beau, et moi, la vieille Manette qui suis toute éreintée et qui ne tiens plus à rien, j’irai jeter de l’eau bénite sur sa tombe, et dans dix ans, si je vais jusque-là, il faudra que sa pourriture fasse place à mes vieux os ; car ils ont beau être riches, tous ces grands messieurs, il faut toujours qu’ils aillent où nous allons ; ils ont beau s’attifer de velours et de taffetas, leur dernier habit, ce sont toujours les planches de la bière ; ils ont beau soigner et parfumer leur peau, les vers de la terre sont faits pour eux comme pour nous. Dire que moi, la vieille laveuse de lessive, je pourrai, quand cela me fera plaisir, aller m’accroupir sur la tombe d’un gentilhomme ! Allez, mon bon monsieur, cette pensée fait du bien, elle nous console d’être pauvres et nous venge de n’être pas nobles. Du reste, c’est bien la faute à celui-ci s’il est mort. Il a voulu s’emparer de la chambre d’un voyageur parce qu’elle était la plus belle de l’auberge. Il s’en est suivi du grabuge entre eux : ils sont allés se battre dans le jardin de la Levrette, et le voyageur lui a mis une balle dans la tête. La jeune dame était enceinte à ce qu’il paraît, la pauvre femme ! Quand elle a su que son mari était mort, le mal d’enfant l’a prise et elle ne vaut guère mieux à l’heure qu’il est que son noble époux. Le docteur Débrit sort de sa chambre : comme c’est moi qui lave son linge, je lui ai demandé des nouvelles de la jeune femme, et il m’a répondu : – Allez, mère Manette, j’aimerais encore mieux être dans votre vieille peau ridée que dans la sienne.