— Ce que tu voudras, mais dépêche-toi, car je sens que je m’en vais.
— Eh bien ! dit mon oncle : « Celui que nous déposons sous ce feuillage laisse après lui d’unanimes regrets. »
— « Unanimes regrets » ne vaut rien, dit M. Minxit ; nul homme ne laisse après lui d’unanimes regrets. C’est un mensonge qu’on ne peut débiter que dans une chaire.
— Aimez-vous mieux « des amis qui le pleureront longtemps » ?
— C’est moins ambitieux, mais ce n’est pas plus exact. Pour un ami qui nous aime loyalement et sans arrière-pensée, nous avons vingt ennemis cachés dans l’ombre, qui attendent en silence, comme le chasseur en embuscade, l’occasion de nous faire du mal ; je suis sûr qu’il y a dans ce village bien des gens qui se trouveront heureux de ma mort.
— Eh bien ! « laisse après lui des amis inconsolables », dit mon oncle.
— « Inconsolables » est encore un mensonge, répondit M. Minxit. Nous ne savons, nous autres médecins, quelle partie de notre organisation affecte la douleur, ni comment elle nous fait souffrir ; mais c’est une maladie qui se guérit sans traitement et bien vite. La plupart des douleurs ne sont au cœur de l’homme que de légères escarres qui tombent presque aussitôt qu’elles sont formées ; il n’y a d’inconsolables que les pères et les mères qui ont des enfants dans le cercueil.
— « Qui garderont longtemps son souvenir », cela vous conviendrait-il mieux ?