Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/74

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vient très habile ; il n’y a pas besoin d’idées pour cela. J’ai connu des gens qui versifiaient très bien, et pourtant tout à fait dépourvus de bon sens et incapables de soutenir la discussion la plus simple.

« Mais lui, le poète, n’a pas besoin de sujet ; il ne lui faut qu’un titre. Sur un mot, il vous bâtit une Ode, une Méditation, un Crépuscule ; à propos d’une fourmi, il vous parle de la terre, de la mer et des cieux ; ses images, s’il en a, se suivent,

mais ne se tiennent pas.

. . . . . . . .

« Les Méditations poétiques de M. de Lamartine sont le moule où ils jettent toutes leurs pièces, moule d’or où ils fondent du plomb. Quand l’idée ne vient point, ils ont recours au pathos ; le pathos est une des grandes ressources du mauvais poète. Vous n’avez pas compris leurs strophes, et vous vous en prenez à une distraction. Pourvu que leur vers flatte l’oreille, il dit toujours assez. Vous l’écoutez, quoique sans le comprendre, avec une sorte de plaisir, ainsi qu’une paysanne écoute le langage élégant d’un amant bien élevé. La poésie, c’est la prose devenue folle. Lui, le prosateur, il lui faut un sujet ; il faut qu’il suive un enchaînement d’idées, qu’il sache bien ce qu’il dise, que par un raisonnement quelconque il arrive à une conclusion, et cela n’est pas facile. Il n’a point d’oripeaux pour déguiser sa pauvreté, de manteau barriolé pour couvrir sa nudité. Il n’a point, lui, le privilège du pathos et de ces métaphores vides de sens, faisant un bruit terrible, et pourtant muettes. Cela n’est pas de mise dans ses sujets. Je vous assure qu’à l’époque où je faisais des vers, j’aurais mieux aimé composer cinquante vers comme je viens de dire, que de rédiger convenablement un prospectus d’épicier. La vieille poésie a fait beaucoup de dégât dans notre littérature : elle a créé des mots roturiers et des mots gentilshommes ; elle faisait ses vers avec des mots pompeux. Elle a gâté notre langue ; elle