Page:Œuvres de C. Tillier - II.djvu/13

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tée dans un grand bassin couvert où barbottent les canards et les enfants du village, elle s’en va libre et bouillonnant sur le gravier du chemin ; mais, quand elle est presque à la fin de sa course, elle tombe dans un guet-à-pens que lui a tendu le brasseur et se laisse mettre en bouteille. C’est ainsi que tous les élans de liberté auxquels on s’abandonne dans la jeunesse se changent souvent, quand le vieil âge est venu, en servilité.

Pauvre source ! tu t’es laissé affriander par de l’orge bouilli et du houblon d’agréable amertume ; mais, au lieu d’aller dans des cuves te faire maltraiter de cent façons par des cuistres, ne valait-il pas mieux te promener entre des branches vertes, accrocher tes flocons d’écume aux herbes qui pendent, faire de gracieux remous aux racines des saules, réfléchir le ciel et murmurer avec ces oiseaux qui gazouillent ? Tu as cru à une destinée pleine de liesse ; mais de tout cela qu’adviendra-t-il ? quand ta mousse se sera épanouie quelques instants dans un beau flacon de cristal, quel sera ton domicile ? une hideuse vessie, et ensuite on…… tu m’entends, on te…… au coin d’une borne !… Complaisants du pouvoir, que cela vous serve de leçon !

Vous ne pouvez non plus vous dispenser de relater sur votre album ce grand pic qui domine le village. Deux étroites vallées grimpent à chacun de ses flancs comme deux escaliers, et vous diriez le perron d’un gigantesque château aboli. Souvent à sa cime buissonneuse vous voyez apparaître, comme ces statues qu’on pose sur le fronton d’un édifice, une vieille femme gardant sa vache ou un petit pâtre de moutons qui chante, et dont le vent, déchirant la chanson, en jette jusqu’à vous les lambeaux.

À Armes, donc, en 1780, demeurait un certain Belle-Plante, monsieur Belle-Plante pour les uns, et maître Belle-Plante pour les autres. Comme il était riche et marguillier, M. le curé, M. le