encore ; les jours, les semaines s’écoulèrent sans user cette gaîté pétulante ; mais il n’en fut pas de même de ses petits souliers. Le dernier bond d’une farandole en emporta les derniers lambeaux. Par malheur, la garde-robe de ces dames était légère ; elles allaient à Paris, et avaient cru devoir, pour la remonter, attendre les conseils de la Mode dans son empire. Bientôt Marie-Rose fut réduite à s’asseoir immobile à côté de sa tante, cachant ses pieds nus sous sa robe, remuant la tête et le corps dans un besoin fébrile de mouvement, mais n’osant risquer un pas, semblable à cette Daphné des Tuileries dont le buste est vivant encore quand ses pieds ont déjà pris racine. La petite reine pleurait là, captive comme dans une tour enchantée, en attendant qu’un chevalier, passant, la délivrât.
Ce chevalier passa, et ce fut Pierre Hello. « Laisser nus de si jolis pieds, disait-il avec l’accent de l’indignation, il faudrait n’avoir pas pour deux liards de cœur ! » Mais si le poète a dit : L’indignation fait des vers, il n’a pas dit qu’elle pût faire des souliers. Pierre Hello réfléchit, se frappant le front, se grattant la tête et promenant d’une joue à l’autre, dans sa bouche, ce morceau de tabac que les marins ont l’habitude de mâcher… enfin sa chique. C’est un vilain mot ; mais pardon, il n’y en avait qu’un pour exprimer la chose, et cette chose est trop importante, quand il s’agit de mœurs maritimes, pour qu’un narrateur consciencieux n’en parle pas. La chique est à la pensée du matelot ce que l’aiguille est à l’horloge : quand la pensée va, la chique tourne. C’est qu’aussi il s’était imposé une question bien ardue pour un mathématicien novice : Faire quelque chose avec rien, problème que Dieu seul a pu résoudre.