Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/301

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« Un morceau de cuir ! ma pipe et ma médaille pour un morceau de cuir ! » disait-il avec l’énergie désespérée de Richard III criant : « Une épée ! mon royaume pour une épée ! » Certes, tous les filets de l’équipage se fussent déployés bien vite à la mer s’il eût connu l’histoire de Don Quichotte, et osé se flatter d’avoir la main aussi heureuse que Sancho Pança, qui, jetant ses hameçons aux truites, y voyait mordre des savates. Il chercha, fureta, remua ; sa main passa partout où une souris pouvait passer. Enfin, il poussa un cri de joie, un cri semblable à celui d’Harpagon retrouvant sa cassette, ou de J.-J. Rousseau couvant des yeux sa pervenche. Ce n’était pas une fleur, ce n’était pas un trésor que Pierre Hello venait de découvrir, c’était quelque chose de bien plus précieux, ma foi ; c’était une botte ! la botte d’un soldat tué dans un abordage ; elle avait roulé dans un coin de la cale, Dieu sait comment ! Depuis elle était restée là, portant le deuil de sa sœur jumelle noyée dans la mer ou ensevelie dans le ventre d’un requin, et croyant bien, comme le rat de La Fontaine, que les choses d’ici-bas ne la regardaient plus. Mais Pierre Hello en décida autrement : se servant de son poignard en guise d’alène et de tranchet, il perça, il tailla si bien qu’il fit en moins d’une heure… je voudrais bien pouvoir dire qu’il fit une paire de souliers ; mais, par respect pour la vérité, je n’ose… Ce qu’il fit, ce n’était pas précisément ni des souliers, ni des brodequins, ni des bottines, ni des chaussons, ni des socques, ni des cothurnes, ni des babouches, ni des mocassins ; c’était, dans l’art de la chaussure, une œuvre originale, fantastique, romantique, une chose sans nom ; mais enfin cette chose sans nom pouvait à la rigueur s’interposer comme