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Page:Œuvres de Hégésippe Moreau (Garnier, 1864).djvu/314

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z la petite Ourliska, princesse de Caramanie, qui a eu des malheurs. Elle est âgée de seize ans, danse sur la corde sans balancier, marche sur la tête comme un ange, et fait le grand écart… Que c’est étonnant pour son âge. Entrrrrez… ça ne coûte que deux sous !… »

« Un honnête homme, dit-on, à qui des Bohémiens avaient enlevé sa fille au berceau, faillit devenir fou de douleur en la retrouvant un jour déguisée en princesse de Caramanie. Et que dirait le vôtre, cousine, le vôtre qui est pieux et qui sait lire, s’il vous rencontrait un beau matin, dansant sur la phrase dans un journal ou faisant le grand écart dans un roman ? »

Une larme coula sur la joue de Thérèse.

« Victoire ! dis-je ; voici une perle assez précieuse pour acheter le pardon d’un père. Courons lui offrir cette larme chaude encore : son baiser l’essuiera, j’en réponds.

Elle résista, mais j’insistai ; elle discuta, mais je suppliai ; bref, je fis près de ma cousine, pour la ramener à Dieu, ce que j’eusse fait près d’une autre pour la gagner au diable ; si bien que le soir même je l’entraînai à la diligence avec ses bagages (presque aussi légers qu’elle !), et que le lendemain nous roulions tous deux sur la route de Champagne, elle pâle et souffrante encore de sa gloire avortée, moi gai, triomphant, et criant au postillon : « Ne verse pas, camarade : tu portes une Muse et sa fortune ! »

Je ne pus assister à l’entrevue de l’enfant prodigue et de son père ; je m’étais arrêté en chemin, à deux lieues du village, dans une imprimerie toute petite, mais proprette, coquette, hospitalière (vous la connaissez, ma sœur), où je me reposais voluptueusement sur d’innocentes affiches, de la l